parricide psychiatrie légale

Transcription de l’exposé d’un cas de parricide du XIXème siècle, à l’école psychanalytique de Sainte Anne le 26 novembre 2014 par Edouard Frignet et Olivier Oudet

De l’affaire Andy à l’affaire Chabot

O. Oudet : Il y a un an environ, en décembre 2013, a eu lieu le procès en appel d’un jeune homme qui dans la presse a été appelé Andy F. En 2009, ce garçon, âgé alors de seize ans, a tué à la carabine, une nuit, son père, sa mère et ses deux frères jumeaux. Au cours de la procédure pénale qui a abouti au procès en appel de décembre 2013, le prévenu a été soumis à plusieurs expertises psychiatriques. La première, faite au moment de l’instruction, concluait à l’abolition du discernement au moment des faits et par conséquent à l’irresponsabilité pénale du prévenu. La procédure a néanmoins été poursuivi car le ministère public a fait appel de la décision de non lieu devant la chambre de mise en accusation.  Un second collège d’experts psychiatres a alors été commis qui a conclu cette fois à l’altération du discernement. Sur la base de cette seconde conclusion, la chambre de mise en accusation a décidé qu’il y avait lieu de juger le prévenu devant la cour d’assise des mineurs. En novembre 2012, en première instance, le jury d’assises a conclu à l’irresponsabilité du jeune homme. Suite à ce non lieu, le jeune homme a été placé en UMD. Le ministère public a fait à nouveau appel. En appel, en décembre 2013, le jury a confirmé le jugement de première instance. C’est l’insistance du ministère public qui m’a sidéré. A quel point la conclusion d’irresponsabilité rendue par les premiers experts psychiatres n’a pas été audible par les juges. Et il a fallu…

M. Czermak : Audible ou entendue ?

O. Oudet : Les premiers psychiatres n’ont pas été entendus par le ministère public c’est clair

M. Czermak : être audible c’est une chose, être entendu en est une autre – Ils ont été entendus au bout du compte par le jury puisque le jury deux fois a conclu à l’irresponsabilité du jeune homme.

O. Oudet : J’ai voulu en savoir plus que ce que je trouvais dans la presse concernant les différents rapports d’expertise[1] (1). Je me suis adressé à Edouard Frignet qui était alors en cours de diplôme universitaire de criminologie appliquée à l’expertise. Il m’a répondu qu’il ne pouvait absolument pas se procurer les rapports d’expertise de ce procès. Ceux-ci sont des pièces du dossier d’assise qui n’est communicable qu’après un délai de cent ans. Voilà pourquoi je me suis retourné vers les archives de la ville de Paris d’où j’ai sorti quatre dossiers de parricides datant de la deuxième moitié du XIXème siècle, dont celui que nous allons vous présenter aujourd’hui : celui du parricide Chabot qui date de 1877.

Des pièces du dossier de procédure criminelle

E. Frignet : Grâce à Olivier Oudet, nous avons pu nous procurer les pièces du dossier.  Les pièces sont nombreuses : il y a beaucoup de dépositions de témoins : une trentaine environ. Nous avons les rapports de police, du commissaire, du médecin légiste[2](2), des experts psychiatres qui sont en l’occurrence les docteurs Blanche et Lasègue.

M. Czermak : pas les plus petits !

J. Perrin : Le fameux docteur Blanche ?

E. Frignet : Voilà, exactement. Ce sont eux[3](3). Donc, ils ont fait une co-expertise. Et puis on a tout ce qui est pièces du dossier au versant proprement juridique.

Si vous me permettez, je vais vous rappeler le déroulement d’une procédure criminelle qui mène à la cour d’assises ce qui vous donnera une idée plus précise des différents documents que l’on retrouve dans ce dossier d’assise.

Vous savez que la cour d’assises est réservée au jugement des crimes. Les crimes pour les juristes, sont les actes dont les prévenus encourent une peine de plus de dix ans d’emprisonnement. Cette cour est particulière parce qu’il y a à l’intérieur un jury populaire, ce qu’il n’y a pas dans les autres cours qui sont chargées de juger les délits ou les contraventions. Les magistrats sont avec des gens qui sont tirés au hasard sur les listes électorales à la seule condition d’avoir plus de 23 ans, un casier vierge et d’être français. A peu près n’importe qui peut être appelé en cour d’assises pour juger souvent de choses très graves. Et c’est une charge qu’on ne peut pas refuser. C’est un délit de ne pas le faire.

M. Czermak : Encore faut-il qu’ils aient fait une enquête !

E. Frignet : En général c’est fait par les avocats qui sont attentifs à ce genre de choses. Voilà. Il y a un certain nombre de jurés qui sont désignés, une quarantaine et à la fin, on en retient que six, ou neuf s’il se trouve que c’est un procès en appel.

Je reviens au début du processus qui aboutit au procès devant la cour d’assises.  Le déroulement d’une procédure pénale commence par l’infraction commise par un ou plusieurs individus. En l’occurrence un crime, un meurtre. Cette infraction est ensuite constatée par les services de police et là, c’est le parquet qui est nommé. Le parquet, c’est le ministère public. Le procureur dépend du ministère, du garde des sceaux, du pouvoir politique. Le parquet ouvre une enquête qui est dite de flagrance en cas de flagrant délit. Quand on retrouve un cadavre, c’est un flagrant délit.  Quand les faits datent un petit peu Ou sinon, on emploie le terme d’enquête préliminaire. Ce serait par exemple une jeune fille qui viendrait témoigner qu’elle a subi des agressions sexuelles quelques années plus tôt. On ouvre dans ce cas une enquête qui est dite préliminaire. A savoir que l’enquête de flagrance octroie des pouvoirs plus importants aux policiers pour mener leur enquête. Et ça pendant quinze jours. Voilà.

Lorsque l’infraction est un crime ou un délit complexe, le parquet ouvre une information judiciaire. La décision du procureur est motivée dans un document appelé le réquisitoire introductif. A la suite de quoi,  il désigne un juge d’instruction. Celui-ci est ce qu’on appelle un magistrat du siège. La différence entre le siège et le parquet, c’est que le siège est indépendant du pouvoir politique. Donc le juge d’instruction est nommé. Il est totalement indépendant, il est assisté dans son enquête par les mêmes officiers de police judiciaire qui avaient aidé le procureur juste avant. Et leurs pouvoirs sont nettement renforcés puisqu’ils peuvent procéder à des écoutes téléphoniques, des perquisitions de nuit – ce qui est normalement interdit. Il faut savoir que doit être menée à charge et à décharge. Si tel n’a pas été le cas, les avocats peuvent attaquer la procédure l’instruction.

Excusez-moi, je reviens à l’enquête de police pour préciser les termes de suspect et de prévenu. Celui que l’enquête conduit à la mise en garde à vue sur raison plausible de le soupçonner est désigné du terme de suspect. Il peut ensuite être mis en examen au vu d’indices graves et concordants. Et à ce moment là

J. Perrin : Graves, précis et concordants

E. Frignet : Ah j’ai oublié le précis. Graves précis et concordants. On le désigne alors du terme de prévenu. Il est placé sous contrôle judiciaire et éventuellement en détention provisoire en attendant son jugement.

Passons à la fin de l’instruction. Il peut y avoir plusieurs choses qui se passent : soit un non-lieu. C’est à dire non-lieu à poursuivre. La loi ne permet pas de poursuivre les faits dans ce cas là, c’est notamment le cas quand les experts concluent à l’irresponsabilité du prévenu. On va voir ça un petit peu plus loin. Non lieu, c’est à dire qu’il n’y a pas lieu de constituer une infraction, ce qui ne veut pas dire qu’une personne n’a pas été tuée, mais qu’il n’y a pas lieu de poursuivre devant la justice selon la loi.

M. Czermak : C’est le cas de ce qui se passe à Ferguson aux Etats Unis.[4](4)

E. Frignet : Oui mais le système américain c’est encore autre chose

M. Czermak : les juges ont dit : « Il n’y a pas lieu de poursuivre. » Ou  « Il n’y a pas d’infraction constituée au sens juridique. »

E. Frignet : En l’occurrence, l’argument juridique est que les policiers avaient agi en état de légitime défense. Il n’y avait pas d’infraction au sens de la loi. Contre quelqu’un qui n’avait pas d’arme c’est une théorie comme une autre.

Pour qu’une infraction soit constituée au sens juridique du terme, il faut que plusieurs éléments soient réunis. Je vais parler un petit peu plus loin.

A la fin de l’instruction, le juge d’instruction transmet le dossier d’instruction et ses conclusions au procureur. Dans le dossier d’assises du Chabot, les conclusions du juge d’instruction constituent la pièce appelée l’ordonnance de mise en accusation. C’est alors au procureur de rédiger son réquisitoire définitif dont la conclusion peut donner lieu à ce qu’on appelle l’ordonnance de renvoi. Le procureur décide qu’il y a matière à poursuivre devant une cour de justice. Le réquisitoire définitif donne une bonne idée de la position que l’accusation soutiendra lors du procès.

Quelques précisions encore sur la cour d’assises. Elle est départementale. C’est une cour qui n’est pas permanente, sauf à Paris. Ailleurs elle se réunit quinze jours tous les trois mois, ce qu’on appelle des cessions d’assises. C’est une cour qui est relativement exceptionnelle, elle est assez différente des cours correctionnelles. Elle est donc saisie suite à l’ordonnance de mise en accusation du juge d’instruction ou d’un arrêt de mise en accusation si c’est la chambre de mise en accusation qui conclut. Elle est composée de trois magistrats : un président et deux assesseurs, donc des magistrats professionnels et six jurés qui sont des citoyens ordinaires ou neuf jurés en appel. A ce moment là, la personne qui est mise en examen devient l’accusé, comme on dit « Faites entrer l’accusé ! » voilà. L’accusé, c’est uniquement aux assises. Et le procureur, lui, prend le nom d’avocat général.

L’important à savoir, c’est qu’en cour d’assises, la procédure est exclusivement orale. Il n’y a que le président, l’avocat général et l’avocat de la défense qui ont accès au dossier. Il faut savoir aussi que l’accusé est obligé d’être représenté par un avocat. Il ne peut pas se défendre tout seul. Le procès étant exclusivement oral, on ne tient pas compte de ce qui pourrait avoir été mentionné dans le dossier écrit mais dont il n’est pas question lors des débats. On n’en tiendra pas compte. Si certaines pièces sont oubliées, ça peut changer le destin d’un procès. C’est uniquement ce qui se passe dans la cour d’assises pendant les séances -ça peut aller de trois jours à plusieurs mois – il n’y a que ça qui compte, que ce qui est dit oralement.

O. Oudet : Dans notre cas par exemple, parmi les pièces du dossier d’assise disponible aux archives, il y a le rapport des Dr Blanche et Lasègue, c’est un rapport écrit qui a servi dans les étapes préliminaires, mais au moment de l’audience, les Dr Blanche et Lasègue sont cités comme témoins.

E. Frignet : Ils déposent à la barre.

M. Czermak : Ils ont eu accès aux pièces du dossier.

O. Oudet : Oui, ils ont eu accès aux pièces du dossier.

E. Frignet : En fait, ça dépend un petit peu des experts, certains décident de prendre connaissance du dossier avant de rencontrer la personnes et d’autres décident pour ne pas être influencé, de ne pas consulter les pièces du dossier. Ça peut dépendre aussi du magistrat. Il peut décider de ne pas communiquer le dossier. C’est un petit peu à l’appréciation de chacun quoi.

M. Czermak : Allez-y à l’aveugle ! ça peut être une façon de procéder pour certains.

E. Frignet : Dans notre dossier qui est assez conséquent, on s’est concentré surtout sur les interrogatoires[5](5) du juge d’instruction avec l’accusé, le dénommé Jules Chabot. Le juge d’instruction a également interrogé en tant que témoins ses trois frères : Eugène, Charles et Émile. Il a interrogé les voisins du quartier, les anciens voisins, quand il habitait dans un autre endroit, les employeurs. Enfin à peu près tout ceux qui ont été en relation avec l’accusé, ainsi que les policiers qui sont arrivés sur place pour constater les faits. Dans le dossier, nous avons une trentaine de dépositions de témoins. Et il y a eu à l’audience seulement quatorze témoins appelés. C’est à dire que certains témoignages dont je vais vous parler tout à l’heure n’ont pas été pris en compte pendant le procès puisque les personnes n’ont pas été appelés à témoigner à la barre. On verra que ça a son importance notamment compte tenu de ce que ces personnes avaient à dire[6](6).

De l’expertise psychiatrique et psychologique

E. Frignet : Avant d’entrer plus en détail dans l’affaire Chabot, je voudrais vous dire un petit mot à propos dispositif judiciaire de l’expertise, de nos jours et puis à l’époque. L’expert est, selon les termes de la loi, « un professionnel spécialement habilité, chargé de donner un avis technique suivant ses compétences et en fonction des connaissances scientifiques actuelles et reconnues, ». Il s’agit bien d’un avis ; les conclusions de l’expert ne s’imposent jamais.  Au final, c’est le magistrat qui décide s’il va les suivre ou non. Est-il convaincu ? L’expert doit être à la disposition de la justice. Aux assises, il dépose à la barre en prêtant serment. Et donc ça nécessite

M. Czermak : C’est obligatoire ?

E. Frignet : Oui.

M. Czermak : Il m’est arrivé de déposer en cours d’assises et on ne m’a pas demandé de prêter serment, considérant que j’avais déjà prêté serment.[7](7)

E. Frignet : Si les experts sont déjà inscrits au niveau de la cour d’Appel ou de la cour de Cassation, ils ont prêté serment au moment de leur inscription. Ce serment vaut pour toute leur carrière d’expert, alors que certains experts peuvent être appelés sans être présents sur les listes officielles.

M. Czermak : C’était mon cas.

E. Frignet : Vous n’étiez pas sur les listes.

M. Czermak : Non

E. Frignet : Normalement vous auriez du prêter serment.

M. Czermak : J’ai dit est-ce que je prête serment ? On m’a dit : «  C’est pas la peine. »

E. Frignet : Ça remet en cause la valeur de ce serment.

J. Perrin : Faut faire un vice de procédure.

M Czermak : Oui vice de procédure oui.

E. Frignet : Voilà. On demande à l’expert de rendre un rapport écrit qu’il remet au juge. Le juge le transmettra à l’avocat, au procureur, qui sont des personnes qui ont une certaine connaissance en matière criminelle, et aussi en ce qui concerne les liens entre la psychiatrie et les actes criminels, ce qui n’est pas le cas des jurés qui sont des citoyens ordinaires[8](8) –  donc l’expert quand il arrive à la barre, il faut entre guillemets qu’il vulgarise son discours, qu’il se rende audible, pour le coup, et qu’il soit entendu des personnes qui ne sont pas spécialistes dans ce domaine. C’est une difficulté. Il doit adapter son vocabulaire, ne pas être trop technique notamment. Si un expert psychiatre parle de nosologie, de choses comme ça, il ne faut pas qu’il perde les jurés.

Un expert psychiatre peut être désigné n’importe quand tout au long de la procédure. Ça peut être pendant l’instruction ou pendant le procès. Il est désigné pour examiner un prévenu dans le but d’évaluer son degré de responsabilité pénale et de renseigner la justice sur la personnalité et la dangerosité psychiatrique.

Le cadre juridique de l’expertise est défini de façon générale dans l’article 156 du code de procédure pénale. Cet article concerne tous les experts quelle que soit leur domaine de compétence, cela peut être un architecte, un mécanicien, un balisticien, toute personne qui a des connaissances techniques précises dans un domaine, si ces connaissances peuvent être utiles à la manifestation de la vérité lors du procès.

Quand l’expert est désigné par un magistrat du parquet ou un officier de police judiciaire, il s’agit d’une réquisition, quand il est appelé par par un magistrat du siège, le juge d’instruction ou le président des assises, il s’agit d’une ordonnance de commission d’expert. L’expert doit s’en tenir à répondre aux questions qui lui sont posées. Dans la demande d’expertise, il y a des questions[9](9) assez précises qui sont posées. L’expert doit répondre à ces questions. Il ne doit pas répondre en dehors. Il ne doit pas dépasser son champ de compétence.

De nos jours l’ordonnance d’un expert psychiatre est obligatoire dans plusieurs domaines : en matière criminelle elle est absolument obligatoire. Ensuite, ce qui est par contre beaucoup moins respecté, elle est obligatoire pour les prévenus de moins de 25 ans, pour les récidivistes, pour les délits sexuels, pour les incendies volontaires, pour les mesures de protections comme tutelle et curatelle, ainsi que pendant l’application des peines et les libertés conditionnelles de longues peines. Dans les faits, dans les procès en correctionnelle, vous avez très souvent des prévenus qui ont moins de 25 ans et n’ont pas été expertisés. Ils passent quand même, bon. Voilà.

Il faut savoir que l’expert ne peut pas expertiser une personne dont il est le thérapeute ou le médecin traitant. C’est absolument exclu. Enfin, l’expertise n’est pas un acte thérapeutique.

Actuellement, en pratique, les experts psychiatres rencontre la personne une fois, parce qu’ils sont débordés. Parfois plusieurs, notamment dans les affaires qui sont assez médiatisées, voilà, mais bon en général c’est une seule fois, ça dure entre une heure et demi et quatre-cinq heures. Tout dépend souvent de l’âge du sujet parce que faire la biographie de quelqu’un qui a dix-huit ans, ce n’est pas aussi long que quelqu’un qui en aurait soixante-dix.

O. Oudet : Ça, c’est la situation actuelle, parce que à l’époque des faits, en 1877, la situation était bien différente et notamment ce qu’on a remarqué en faisant un peu de bibliographie, c’est que dans bien des affaires, non pas dans celle-là, mais dans bien des affaires, l’expert aliéniste qui était commissionné, demandait que le prévenu soit hospitalisé éventuellement dans son service ou dans un autre service, d’un asile, de façon à ce que l’observation puisse être de meilleure qualité. C’était très régulier dans les affaires criminelles du XIXème, et ce ne serait plus possible. Là, vous verrez dans l’affaire [Chabot] la commission date de mai et ils rendent leur rapport au mois de juillet. Donc vous voyez, vous avez trois mois avec des visites régulières à la prison de Mazas pour affermir leur position. Mais dans d’autres affaires, ça aurait été carrément un internement à l’asile pour confirmer les observations.

Donc de nos jours pour l’expert psychiatre qui est chargé de rendre la décision d’irresponsabilité. L’article de loi qui sert de cadre à ces conclusions est l’article 122 -1 du nouveau code pénal. Il peut y avoir trois conclusions différentes :  alinéa 1, je vous le cite : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »  L’expertise psychiatrique est la seule qui peut stopper une procédure judiciaire. Si l’expert déclare que la personne est irresponsable selon les termes de l’article 122-1 alinéa 1 et que le juge suit cette décision. Il rend un non-lieu, la procédure s’arrête et la personne est en général envoyée à l’hôpital sous SPDRE Soins Psychiatriques à la Demande d’un Représentant de l’Etat. Il y a transfert de compétence, l’autorité judiciaire donne les pouvoirs à l’autorité administrative puisque c’est le préfet qui prononce l’hospitalisation.

Ensuite la deuxième conclusion possible, c’est l’alinéa 2 du même article : la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré – et non pas aboli sur le premier alinéa – son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Donc là, on reconnaît qu’il y a un trouble de nature psychique, mais qui n’est pas suffisant pour abolir complètement la responsabilité. La personne peut donc être condamné, mais, en général la peine sera assortie avec d’une obligation de soins. Mais il peut y avoir une peine quand même.

La dernière conclusion possible, c’est ce qui arrive dans plus de 99% des cas, l’expert conclut à l’absence de toute pathologie psychiatrique qui serait directement responsable des faits et le prévenu est à ce moment là jugé de façon normale.

En complément de l’expertise psychiatrique le juge peut ordonner une expertise psychologique, pour analyser les traits de personnalité du prévenu, par son histoire, par la construction de celle-ci, et situer la perception qu’il a des faits qui lui sont reprochés. Mais en aucun cas le psychologue on ne lui demande de se prononcer sur une quelconque pathologie mentale

M. Czermak : Une question Edouard. Jusqu’à ce jour je n’ai pas compris la distinction qu’on opère entre expertise psychologique et expertise psychiatrique

E. Frignet : Alors la différence majeure, c’est que en fait, seule l’expertise psychiatrique a le pouvoir d’arrêter la procédure en déclarant la personne irresponsable. Le psychologue n’a pas le pouvoir de dire : « Cette personne n’était pas en pleine possession de ses moyen

M. Czermak : On lui demande quoi ?

E. Frignet : On lui demande d’analyser les traits de personnalité de la personne

M. Czermak : Ce qui est quand même demandé au psychiatre

E. Frignet : Egalement demandé au psychiatre, mais on ne lui demande pas de se prononcer sur l’existence d’une pathologie médicale reconnue en fait.

M. Mallet : Pas de diagnostic

E. Frignet : On ne demande pas de diagnostic. En fait c’est renseigner sur la personnalité, l’histoire, le vécu de la personne ce qui

M. Czermak : en d’autre termes, l’expertise psychologique n’a aucune responsabilité.

E. Frignet : Aucune. Enfin elle vient renseigner le magistrat et lui donner des informations supplémentaires

M. Czermak : Elle n’engage aucune responsabilité de la part de l’expert !

E. Frignet : Aucune oui, c’est ça.

M. Czermak : Quand même ça paraît essentiel dans la discipline expertale.

E. Frignet : Les psychologues peuvent aussi être commis pour expertiser les victimes, et dans ce cas là, il faut dire si, si les éléments sont révélateurs d’un traumatisme. C’est vraiment du renseignement en fait sur l’état psychique de la personne, mais sans avoir la possibilité d’avoir une quelconque influence directe sur la procédure.

M. Czermak : Ce qui est formidable, c’est ce que nous dit Edouard, on peut commettre des gens à titre d’expert sans qu’ils aient aucune incidence sur la procédure. C’est à dire que leur responsabilité…enfin c’est selon l’oreille du magistrat.

E. Frignet : C’est ça. De toute façon, le décisionnaire, restera toujours le magistrat, le magistrat peut décider de ne pas suivre.

M. Czermak : Mais la responsabilité, la responsabilité de l’expert psychiatre ou psychologue sont complètement hétérogènes.

E. Frignet : Et bien en fait, on ne peut pas reprocher à un expert de s’être trompé puisqu’il donne simplement un avis.

M. Czermak   : Ah Oui ?

E. Frignet : Ca arrive, ça arrive même souvent. Mais on ne peut pas lui reprocher. C’est à dire que l’expert vient simplement donner un avis à titre on va dire consultatif. C’est le juge qui prend la décision, et les juges ne peuvent pas être mis en cause pour leurs décisions. On ne peut pas les poursuivre parce qu’ils ont commis un erreur judiciaire en condamnant un innocent par exemple.

M. Czermak : Ouais ! On peut mettre en cause un expert psychiatre. On ne peut pas mettre en cause un expert psychologue.

E. Frignet : Si on peut les mettre en cause, d’ailleurs dans l’affaire d’Outreau si je me rappelle bien l’expert psychologue qui avait dit : « quand on est payé comme une femme de ménage, on a des expertises de femmes de ménages »[10] (10).

M. Czermak : ça c’était un mot de trop !

E. Frignet : Sûrement. Il peut être mis en cause, mais ce n’est pas mis en cause au niveau judiciaire. On ne peut pas leur reprocher et tenter une action en justice contre eux parce qu’ils se sont trompés.

X : C’est à quelle moment qu’est demandée une contre expertise ?

E. Frignet : C’est une fois que la première a été rendue. Elle est donc communiquée aux avocats et il peut être fait une demande de contre-expertise. En général ce qui se passe c’est qu’un premier expert est nommé, Puis les personnes qui ne sont pas satisfaites vont nommer un autre expert. Et puis bon voilà, ça crée souvent quelques querelles d’expert qui sont à la fin pas d’accord entre eux. Par ailleurs, le juge peut demander ce qu’on appelle une enquête de personnalité qui a pour but aussi de décrire la vie, de retracer le parcours du mis en cause. Tout ça vise à donner le plus de renseignements possible au magistrat et lui permettre d’évaluer l’acte criminel par rapport au contexte psychique de son auteur, puisque on ne juge pas un acte, on juge une personne.

M. Czermak : Qui fait l’enquête de personnalité ? Parce que à ma connaissance, c’est n’importe qui.

E. Frignet : Ce sont souvent des psychologues, des éducateurs, des anciens policiers.

Un petit mot sur ce qui se passait à l’époque de notre dossier. C’était fin XIXème. Depuis 1994 il y a ce qu’on appelle le nouveau code pénal qui remplace le code pénal de Napoléon qui datait de 1810. Mais ce code prévoyait déjà qu’au cas où les crimes ou les délits étaient commis sous l’emprise de la maladie, on ne pourrait pas demander aux personnes de répondre de ces actes. C’était l’article 64 du code pénal : « Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action. ». A l’époque y a avait beaucoup beaucoup d’irresponsabilisation et en général, ça se terminait ensuite à l’asile puisque depuis la loi du 30 juin 1838, le placement d’office existait. Donc c’était déjà un peu le même principe. En gros, l’expert disait qu’il n’était pas responsable et on l’envoyait à l’asile et souvent il y restait un certain temps.

A l’époque, il n’y avait pas d’experts psychologues, pas d’enquête de personnalité, et simplement les médecins aliénistes qui étaient désignés et qui pouvaient donc comme Olivier l’a dit, parfois, demander au magistrat de garder la personne pendant deux trois mois dans leur structure, pour pouvoir la rencontrer très souvent voilà. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui.

Du cadre juridique de la responsabilité pénale

E. Frignet : un dernier mot sur le cadre juridique de la responsabilité pénale. Et de la responsabilité, parce qu’ensuite, on va se poser la question de la responsabilité tout court. En tout cas, dans le cadre juridique, il y a trois éléments qui composent une infraction et qui sont nécessaires pour qu’on puisse imputer à quelqu’un la responsabilité de cet acte : premièrement, un élément légal, c’est à dire que la loi pénale doit préexister à l’infraction et déterminer de manière précise le contenu de cette infraction et elle n’est également pas rétroactive. C’est à dire que si demain on décide de punir quelque chose qui n’est pas puni aujourd’hui, on ne pourra pas dire aux gens qui l’ont fait avant la promulgation de la loi qu’ils sont coupables de quelque chose

M. Czermak : la qualification doit être antérieure

E. Frignet : Exactement, il faut que la loi préexiste à l’infraction, et qu’elle décrive précisément ce qui est interdit.

Ensuite on a l’élément matériel, ça c’est l’acte de commission positif de l’infraction, ou une omission, ça peut être par exemple la « non assistance à personne en danger. » Et ça peut être un acte unique ou plusieurs actes.

Et enfin c’est celui qui va nous intéresser le plus, c’est ce qu’on appelle l’élément moral ou intentionnel, c’est à dire que la loi dit qu’il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre. On distingue alors les infractions qui seraient intentionnelles, c’est à dire motivées par une intention coupable criminelle ou délictueuse, donc la volonté qui se tend vers un but illicite, et la conscience de commettre un acte qui est interdit, sachant que les crimes sont toujours intentionnels, et ensuite les infractions qu’on appelle non intentionnelles dans lesquelles la faute serait fondée sur la prévisibilité du résultat.

La responsabilité pénale, c’est l’obligation de répondre des conséquences de ses actes, elle est strictement personnelle, sauf dans les cas de responsabilité du fait d’autrui, par exemple les parents  porte la responsabilité des actes de leurs enfants mineurs. Pour que la responsabilité pénale soit mise en jeu dans une infraction, il faut qu’il y ait l’élément légal, l’élément matériel et l’élément intentionnel.

Donc voilà, le plus important dans notre affaire, c’est cette histoire d’élément intentionnel de cette volonté de en gros « faire le mal », faire quelque chose qui est interdit.

Le dossier d’assise comme document de base pour l’étude de l’expertise psychiatrique.

O. Oudet : Ce qui me semble être l’un des enjeux de notre travail, c’est de voir dans quelle mesure ce document là, le dossier de procédure criminelle, dans quelle mesure il peut nous être utile pour charpenter cette problématique de la conclusion d’irresponsabilité. Parce qu’il y a vraiment un problème qui n’est pas récent. Il y a vraiment un problème pour qu’une conclusion d’irresponsabilité puisse être à la fois affirmée par un expert psychiatre et qu’elle puisse être entendue par les juges. C’est ce que disait Edouard, il n’y a pratiquement plus de non-lieux prononcés au regard de cet article 122-1/ C’est 0,4% de toutes les procédures. Donc il y a un sacré boulot à faire. Il me semble que les éléments que l’on a dans ce dossier, permettent de bien voir si oui ou non le discours des aliénistes arrive à tenir de manière distincte du discours des juges. Les aliénistes arrivent-ils à se faire sensibles à la clinique de la psychose ? Et là, vous allez voir, nous ne sommes pas d’accord sur la conclusion. Il me semble que les Dr Blanche et Lasègue se sont laissés embarquer par le discours des juges. Vous verrez, ça tient à un mot. Vous verrez la conclusion, elle est incroyable la conclusion, incroyable.

M. Czermak : J’ai une question. A-t-on idée de pourquoi c’était Blanche et Lasègue ? Parce que c’est deux types qui n’ont rien à voir. Blanche c’est la clinique du côté de Pigalle, le beau monde parisien, et Lasègue c’est l’infirmerie de la préfecture de police.[11] (11)

O. Oudet : Je n’ai aucune idée à ce sujet là.  Par contre, ce que j’ai pu repérer en essayant de voir où en était l’expertise criminelle à cette époque là, en 1877, c’est que les choses avaient subi de grandes variations. C’est à dire qu’il y a eu au début du XIXème un énorme travail pour faire admettre l’irresponsabilité liée à l’aliénation mentale dans des cas où il ne s’agissait pas de folie furieuse mais de cas assez subtiles. Ça a été tout le débat autour d’un terme de nosographie : les monomanies homicides. C’est très intéressant la manière dont Esquirol avec Leuret, et Georget ont bâti une doctrine qui a pu influencer les juges pendant un demi siècle à peu près, enfin. Et ensuite, Esquirol meurt en 1840, Georget est déjà mort depuis un moment, Leuret meurt en 1850, en tout les cas en 1854, il y a un article de Falret qui s’intitule « de la non existence des monomanies. ». Je pense que à l’époque en 1877, les aliénistes sont entre deux eaux par rapport à la doctrine. Vous verrez au niveau doctrinal c’est assez informe. Voilà, je pense que ce n’est pas tant l’histoire que ce soit le Dr Blanche et Lasègue, je pense que c’est plutôt une question de date. C’est à dire qu’il ne se serait jamais passé ça avant 1850. Le problème c’est que nous ne disposons pas des dossiers d’avant 1850 parce qu’au moment de la commune de Paris les archives ont brûlé.

L’acte criminel :

E. Frignet : Voici comment les faits se sont déroulés d’après les premiers témoins : deux policiers et les frères de l’accusé dont deux étaient sur place. Ça se passe dans une boucherie qui est rue d’Allemagne à Paris[12](12). Tout commence par les déposition des messieurs Martin Prise et Sébastien Bintz les gardiens de la Paix du 19ème arrondissement qui déclarent[13] (13): « Le 7 mai dernier vers 4 heure moins le quart, ils sont dans la rue d’Allemagne lorsqu’ils sont interpellés par un marchand de vin qui vient vers eux et leur dit qu’un individu vient de tuer sa mère. Donc ils vont voir cet individu qui, je cite : « nous répond froidement : « Oui c’est vrai, j’ai tué ma mère et je cherche un commissaire de police pour me rendre prisonnier. » Il nous a également déclaré qu’il savait parfaitement ce qu’il avait fait. Ce à quoi cela l’exposait, mais qu’il l’avait fait exprès. » Ils lui demandent s’il a agi dans un moment d’exaltation occasionné par la boisson. L’individu répond : « Je n’ai bu que de l’eau toute la journée. ». Ensuite les gardiens de la paix se rendent auprès de la victime, la mère qui décédera quatre jours plus tard, le 11 mai. Et lorsque Martin Prise lui demande son nom, elle répond : « Ce n’est pas la peine. Il ne l’a pas fait exprès, c’est sans le vouloir qu’il m’a blessée. »  Mr Bintz le deuxième gardien de la paix déclare au juge d’instruction que quand ils ont approché de l’individu dans la rue, il leur a répondu : « Oui monsieur, je cherche un commissaire de police pour me rendre prisonnier. » Et, sur les observations que nous lui faisions, il a répondu : « Ce n’est pas à un homme de 40 ans qu’on fait des observations. Je sais parfaitement ce que j’ai fait. » Cet individu était calme et de sang froid, mais il avait un si vilain regard que mon collègue et moi craignons qu’il ne soit encore armé. Donc ils lui ont demandé s’il avait une arme ? Et de quelle arme il s’était servi pour tuer sa mère. Et il a répondu : « N’ayez pas peur, je n’ai aucune arme chez moi, elle est restée chez mon frère. »

Ensuite, les déclarations des deux frères présents le jour de l’acte : François-Eugène qui est le propriétaire de la boucherie[14](14) _ Il y a toute une histoire d’héritage qu’Olivier vous expliquera – et Charles, qui est employé à la boucherie, et quelques clients qui visiblement sont là, mais ne sont pas désignés de façon nominative. Et donc les frères déclarent tous deux à peu près la même chose.  François Eugène dit que son frère Jules arrive vers 4 heures et demi, qu’il ne l’avait pas vu depuis un certain temps. Jules reste devant l’étal comme ça, il ne dit rien. Son frère Charles lui propose d’aller boire un verre, il ne lui répond pas. Il est mutique. Il regarde ses frères s’occuper de la boutique. Et leur mère est en fait présente dans l’arrière boutique. Il y a un petit guichet, elle tient la caisse à cet endroit là. Jules reste là à regarder ses frères servir les clients, puis le frère aîné, François Eugène part faire une course. Jules rejoint sa mère dans l’arrière boutique. Charles lit le journal à l’entrée de la boutique et déclare que, d’un coup, il entend un bruit sourd, comme un coup, et qui vient de l’arrière-boutique. C’est à dire qu’après être resté planté sans rien dire, Jules se décide à aller voir sa mère, et apparemment, ils discutent très calmement et d’un coup, il y a ce bruit sourd et donc là le frère, se lève, court vers l’arrière boutique, croise son frère auquel il retire de la main une corde au bout de laquelle est noué un poids, donc une sorte de fronde en fait. Il trouve sa mère étendue avec l’arrière du crâne très abîmé, elle saigne.

M. Czermak : Ça s’est passé à quelle heure ?

C’était à 4 heure et demi du soir, entre 4 heure et demi et 5 heure, donc plutôt en fin de journée. Je vous lis la déposition de Charles : « Mon frère Eugène était sorti faire une course et j’étais seul dans l’étal. J’entendais ma mère et Jules causer ensemble très paisiblement, sans cependant comprendre ce qu’ils se disaient. J’étais occupé à lire un journal près du seuil de la boutique. Il y avait à peine dix minutes que mon frère Jules était près de ma mère que j’entendis un bruit sourd comme un coup porté. » Il découvre sa mère blessée et il dit qu’il sort pour appeler au secours des voisins et c’est à ce moment là que le marchand de vin en entend parler, repère les agents de police et les appelle. Et il fait aussi la déclaration suivante : « Je dois dire qu’au moment où j’arrachais le poids et la corde qu’il tenait à la main, il m’a dit : « Ce n’est pas à toi ni à mon frère que j’en veux. Je m’en vais chez le commissaire de police ». Et Jules en me disant qu’il n’en voulait ni à mon frère ni à moi avait ajouté : « Mais j’en veux à ma mère. » Enfin le juge d’instruction demande à Charles s’il a constaté des signes d’exaltation ? Charles parle alors de ce sur quoi on reviendra plus tard, de quelques évènements qui sont arrivés à son frère, notamment une chute qu’il a fait très jeune où il s’est gravement blessé la tête. Il déclare que son frère avait un peu une réputation d’être très excentrique

O. Oudet : Ça, c’est la déposition au juge d’instruction que tu lis là./ Voilà exactement./ Parce qu’il y a eu une première étape où le commissaire de police a déjà entendu les deux frères et puis cette autre version qui est  plus tardive, la version de la déposition au juge d’instruction. Et d’emblée, les deux frères ont mentionné une maladie mentale ancienne, à partir de l’âge de deux ans. / Voilà. La scène est très très rapide : il vient, il reste quelques minutes à rien dire et puis il y va, il discute sans qu’on sache vraiment pour l’instant de quoi ils ont discuté. Et puis, vu qu’il avait apporté cette arme, Il met un coup et il ressort immédiatement et il est arrêté tout de suite en disant que de toute façon il voulait se rendre. Voilà.

La préméditation

O. Oudet : Il avait apporté une arme. Alors l’arme vous avez repéré ce que c’est. C’est un poids en fonte dont on se sert pour peser, pour faire des pesées. Un poids d’un kilo auquel est attaché une corde d’un mètre – c’est précisé c’est assez curieux ces détails donnés par le prévenu – avec lequel il a fracassé le crâne de sa mère à un moment où elle avait le dos tourné.

D’emblée dans les éléments qui vont être recueillis par les policiers, il y a deux choses qui vont prendre de l’importance, enfin disons trois choses. La première se rattache à la question de la préméditation. Les policiers vont s’intéresser à cette arme : d’où elle vient ? depuis quand cette arme a été constituée ?  Le prévenu ne se cache pas des tenants et des aboutissants de ce poids et de cette corde. Il dit  à quel brocanteur il a acheté le poids récemment, à quel  autre brocanteur il a acheté la corde récemment aussi, d’ailleurs cette corde lui a été donnée. Et le commissaire ira voir avec le prévenu les deux brocanteurs. Les deux brocanteurs déposeront plus tard devant le juge d’instruction. C’est très important pour soutenir la thèse de la préméditation qui est un élément qui va venir aggraver le crime.

E. Frignet : Au niveau juridique. Lorsqu’on tue quelqu’un, il y a plusieurs qualifications. Il y a l’homicide volontaire et il y a ce qu’on appelle l’assassinat. Et la seule différence c’est que l’assassinat est prémédité et l’assassinat c’est perpétuité, alors que je crois que le maximum pour un meurtre c’est trente ans. Voilà. Le fait d’avoir prévu à l’avance de tuer quelqu’un c’est une circonstance aggravante dans la détermination de la peine.

J. Perrin : A l’époque c’était la mort.

E. Frignet : Oui d’autant plus que. Alors on n’a pas énormément de document là dessus, mais le crime de parricide était encore plus grave que le crime de quelqu’un d’autre. Un crime de lèse majesté.

Je vous avais dit trois éléments : donc il y a la constitution de l’arme et son lien avec la question de la préméditation. Dans la suite de la procédure, on verra que l’accusé conteste la préméditation.

Le deuxième élément important de l’affaire est la question de la maladie mentale sur laquel insistent les frères.

La discussion de famille

E. Frignet : Et la troisième chose, c’est la « discussion de famille » qui renvoie à la question du mobile de l’acte. Dès l’arrestation, les gardiens de la paix mentionnent que ce serait suite à une discussion de famille que ce crime aurait eu lieu.  Et donc dans toute l’affaire, ça va rester le problème de savoir quelle est la nature de ces faits là. En quoi ce sujet  est impliqué dans ces questions de préméditation et d’affaire de famille. En quoi il y est impliqué d’une manière folle, ou d’une manière normale. Et on voit bien que les hommes de droit, enfin de loi vont rationaliser les faits. Ils vont vouloir que ça soit

M. Czermak : Que ça tienne debout.

O. Oudet  : que ça tienne debout, alors que mais voilà, alors que dans la succession des interrogatoires de Jules Chabot, dans la manière dont les choses sont dites, on voit bien que lui, il ne tient pas debout avec ça. Voilà, donc ça c’est ce que je voulais dire, et je pense que le dossier en lui-même, je ne sais pas si on arrivera à bien vous le montrer le dossier en lui-même permet de d’articuler ça très précisément. Donc je ne suis pas d’accord avec Edouard sur la conclusion de notre travail en ce sens que je dis que ce dossier il permet d’argumenter que les docteurs Lasègue et Blanche n’ont pas tenu leur position d’expert aliéniste, tandis qu’Edouard dit qu’il faudrait que l’on puisse parler avec l’accusé pour pouvoir se faire une idée.

E. Frignet : Moi je trouve ça difficile de se prononcer sur un truc aussi important simplement avec les pièces du dossier.

O. Oudet : Ouais mais elles ne sont pas simples les pièces du dossier. C’est du solide.

M. Czermak : L’embêtant avec les dossiers. C’est qu’ils sont toujours solides

O. Oudet : Alors l’affaire de famille. Voilà. Ils étaient huit frères et sœurs. Il en reste quatre vivants au moment de l’affaire, quatre frères : Jules l’aîné, Eugène le second, Charles le troisième et Emile le plus jeune. Le père est mort en 1857. Jules avait 22 ans. Le père était boucher. Ils avaient une boucherie au 23 rue de la Chapelle. Après le décès du père, Jules a travaillé à la boucherie avec sa mère. Quant à Charles et Eugène, l’un était à l’armée et l’autre était placé comme boucher chez un confrère. De 1866 à 1872 Eugène a travaillé avec Jules à la boucherie familiale. En 1872 la boucherie paternelle a été vendue. C’était l’époque où le frère Eugène s’est marié et l’accusé dit à propos de cette époque là : « J’ai cédé ma place à Eugène. » Quoi qu’il en soit, la boucherie a été vendue. Ensuite l’accusé a travaillé à droite à gauche. Il continuait à être logée chez sa mère. Jusqu’au jour où il a décidé par l’entremise d’un homme d’affaire de demander que soit liquidée la succession du père. Cette liquidation a été très conflictuelle. Le plus jeune des frères, Emile, qui s’était engagé dans l’armée et qui était musicien dans un régiment à Brest semble avoir donné sa procuration à l’homme d’affaire pour attaquer leur mère sur la liquidation de la succession. D’après les dépositions de deux notaires qui ont été amenés a traité ce dossier, l’affaire ouverte en 1873 a été conclue en 1875 de telle sorte que tous leurs biens familiaux ont été vendus et que les quatre frères n’avaient plus que mille francs à se partager. Jules a reçu 250 francs, Emile a reçu 250 francs. Charles et Eugène ont laissé l’argent à la mère. En 1876, Eugène rachète la boucherie de son ancien patron rue de l’Allemagne, là où sera commis le crime. Il y emploie sa mère comme caissière et son frère Charles comme garçon boucher. Quand les frères déposent sur cette affaire, ils font un récit très circonstancié de la suite des événement comme quoi effectivement en telle année il s’est passé ceci.  Un récit articulé. Et je voudrais vous lire  l’interrogatoire du 29 mai, cela s’est passé trois semaines après le passage à l’acte[15](15). Et donc : « Nous mettons Chabot Jules  en présence de ces deux frères Charles Chabot et Eugène Chabot que nous introduisons dans la pièce. Et nous demandons à l’inculpé Chabot Jules de renouveler devant ses frères la déclaration qu’il nous a faite sur les causes qui ont pu le déterminer à tuer sa mère. Le prévenu répond : « Mon homme d’affaire m’a dit que ma mère ne nous avait pas rendu des comptes complets, qu’il nous revenait en tout une somme de 3000 Francs. Cependant je ne m’étais pas rendu chez ma mère pour lui parler d’affaires d’intérêts, c’est elle la première qui m’en a parlé. J’avais quitté la maison où je travaillais le vendredi 4 mai, ayant l’intention de demander à ma mère de m’occuper chez elle. Je m’y suis rendu seulement le 7 mai comme je vous l’ai déclaré et c’est en partant que j’ai emporté avec moi le poids de un kilogramme attaché à une corde dans le but de m’en servir contre elle si elle me refusait.

Comme ma mère à qui je disais n’avoir plus de travail me répondait qu’il fallait m’emprisonner  et comme elle ajoutait que je l’avais mise sur la paille, que j’étais la cause de sa situation actuelle, que le fonds n’était pas à elle, qu’elle qu’il était à mon frère. J’ai cru qu’elle se moquait de moi et je me suis servi du poids de un kilogramme que je tenais dans ma poche attaché à une corde et enroulé autour de ma main pour la frapper à la tête de deux ou trois coups. Je ne sais au juste combien de fois je l’ai frappée. »

Finalement il n’y a que l’acte. Il est interrogé sur la cause et sur l’affaire de la liquidation de la succession. Il mentionne  l’homme d’affaire qui lui dit que les comptes ne sont pas justes, mais ne peut rien argumenter. Il en revient à l’acte et au déroulement de l’acte et la moquerie, que sa mère s’est moquée de lui. Au moment de l’arrestation il avait déjà dit aux policiers : « C’est quand elle a ri de moi que j’ai frappé. »  Je voulais souligner ce contraste entre le récit de cette affaire de succession reconstituer à partir des dépositions des témoins et le fait que lui ne puisse que citer un homme de main et puis ensuite que finalement il n’y a plus rien, les choses s’articulent sur une tout autre logique.

Discussion menée par Marcel Czermak

M. Czermak : Bon. J’ai compris que vous étiez tous les deux en désaccord et le temps nous est compté, j’aimerais bien entendre sur quoi porte votre désaccord. Ce que vous nous avez amené est à mes yeux déjà suffisamment éloquent ne serait-ce que le morceau que vous venez de nous lire là. D’abord on ne sait pas si c’est le client ou le patient, qu’on l’appelle comme on voudra qui parle ou si c’est la traduction gendarmesque. Puisque les gendarmes mettent ça en bon français et de façon à ce que ce soit plausible sur le plan causal. Donc c’est déjà une traduction, mais on ne sait rien de ce que le type a dit. C’est la traduction gendarmesque. C’est là dessus que le prétoire va se prononcer.

E. Frignet : A priori non. Comme à l’audience ce sera à l’oral, l’accusé sera amené à renouveler ses déclarations mais devant les jurés en fait. Quelques mois après/ Quelques mois après bien sûr.

M. Czermak : J’ai le souvenir d’un cas que Henry Frignet m’avait évoqué, devant un prétoire où le type était clean et au moment du prononcé du jugement, le type déclenche une psychose. Il vous en a parlé.

E. Frignet : Oui bien sûr

M. Czermak : C’est une histoire que je n’ai pas oubliée. Donc votre désaccord porte sur quoi ?

O. Oudet : Je considère que les pièces du dossier suffisent quand on a l’oreille aguerrie, pour affirmer que l’accusé ne tient pas. Il ne tient pas dans un récit. Il ne tient pas dans une articulation signifiante. Il est baladé comme ça, il est complètement baladé. Cette préméditation par exemple qu’il affirme au moment où il est arrêté, il fait le fier, il dit « Mais ouais, ça fait huit jours, j’ai acheté les trucs. » Tout semble collé. Mais ce qu’il dit ensuite quand je me suis retrouvé devant ma mère, si elle n’avait pas ri de moi je n’aurais pas frappé. » Et par la suite il va dire : « Non mais en fait moi j’avais acheté ce poids là parce que de toute façon je fais des tours de force avec des poids, et on voit qu’il a acheté un poids de vingt kilo à telle date un poids de dix kilo à telle date, un poids de cinq kilo à telle date, un poids de un kilo à la date suivante et après, il a tout vendu sauf le poids de un kilo. Et dans sa chambre de garni dans lequel il vivait, il a laissé juste un petit sac de sable comme ça. C’est frappant tous ces trucs donc je pense qu’on a des éléments. Maintenant vous allez voir ce que Lasègue et Blanche en fait. On va vous lire le rapport des docteurs Lasègue et Blanche

M. Czermak : Mettons-les de côté. Mettons-les de côté. Il y a un très bon bouquin d’un type qui est maître de conférence à l’école de la magistrature qui a fait l’histoire de la médecine légale. J’ai oublié son nom. Je ne sais pas si Edouard l’a lu ? Il est très amusant relativement aux doctrines. Ce qui m’importait c’est que vous dîtes si j’ai bien compris, il y a des trucs qui auraient du alerter. Imaginons un instant que je sois un obsédé des poids et mesures. Donc que je me rende périodiquement rue Daguerre. Je collectionne les poids. J’en connais. Dans les brocantes y en a plein. Donc le type collectionne les poids. Ce n’est pas un facteur causal, sauf à juger non pas l’acte, mais la personne. C’est pas bien de collectionner les poids et les mesures, ou d’aimer les blondes plutôt que les brunes. Donc qu’est-ce qui vient heurter ? Pour autant que quand un crime est commis, les gendarmes, ils font leur boulot. Ils posent les questions qu’on leur a enseigné. Hein. Donc préméditation, déterminisme de l’acte, circonstances, etc. Quand on lit une procédure gendarmesque, même si les gendarmes sont un peu fins – y a des trucs qu’on comprend pas – enfin ils essayent d’introduire là-dedans une logique qui se laisserait entendre par chacun. Puisque ça met en branle leur propre compréhension de l’affaire à savoir le déterminisme de l’acte. Alors votre désaccord c’était quoi Edouard ?

E. Frignet : Olivier pense que cette personne aurait dû bénéficier de cet article 64 et être envoyé à l’asile ce qui n’a pas été le cas

J. Perrin : Il n’y avait pas de volonté.

E. Frignet : Bon on va voir tout ça après, mais il faut savoir que à la fin, il a pris huit ans de travaux forcés et vingt ans de surveillance. Ce qui maintenant correspond au suivi socio-judiciaire à la sortie de la prison. Donc il a été reconnu coupable malgré des circonstances atténuantes. Et moi ce que je pense c’est que au vu de simplement les pièces du dossier, on ne peut pas se permettre de se prononcer si catégoriquement et de dire qu’il aurait dû aller à l’asile

O. Oudet : On a 26 dépositions des voisins qui parlent de son délire de persécution et Lasègue et Blanche en parlent à peine.

M. Czermak : Ils ont pas besoin de tout savoir.

E Frignet : Lasègue et Blanche en disent quand même quelque chose. Mais, ma position c’est de dire que on a des pièces, qu’elles peuvent pencher d’un côté ou de l’autre, mais que je ne me sentirais pas de déclarer définitivement que : il aurait du aller à l’asile, ou que c’est bien qu’il soit allé en prison. On va dire que je n’ai pas d’avis sur la question

M. Czermak : En fonction du droit actuel ?

E Frignet :  en fonction des droits de l’époque. Surtout, je pense qu’il est compliqué de pouvoir donner une réponse définitive dans une question aussi délicate simplement en lisant ce qu’il y a écrit dans le dossier. C’est d’ailleurs pour ça que quand on fait des expertises, les experts rencontrent les personnes et ne se contentent pas de lire ce qu’il y a dans le dossier.

O. Oudet : Je vous lis deux ligne ! deux lignes de Blanche et Lasègue ! C’est la conclusion : « Notre avis formel est que la maladie cérébrale dont Chabot est atteint et dont nous avons énoncé les principaux signes annule chez lui la responsabilité presque complètement. » Et voilà, Ils penchent d’un côté, de l’autre. Notre avis est formel, c’est quand même géniale comme formule[16](16).

M-P Flores : Aujourd’hui c’est presque la même chose, c’est à dire que les experts vont dire dans certains cas, il y a pathologie mentale, mais que au moment des faits, il ne l’est pas et que donc le type est responsable.

E. Frignet : Ce serait l’équivalent de l’article 122-1 alinéa 2. C’est à dire reconnaître un trouble mais dire que la responsabilité peut être mise en jeu.

M. Czermak : C’est formidable ces histoires là parce que vous prenez le cas célèbre : « Moi Pierre Rivière ayant tué père et mère. Donc il est coupable grâce à Foucault. Il a déliré le champ social, il n’était pas malin, bon. Le type on l’a envoyé à l’hôpital où il s’est suicidé d’ailleurs. Là aussi ça mériterait d’être repris parce que le bouquin publié là dessus est à mes yeux une saloperie. Une saloperie, c’est à dire c’est une explication sociologique de la folie. La folie elle échappe à une causalité sociologique. Et le type de causalité, je suppose qu’entre vous deux le désaccord est d’un côté l’ordre de causalité qui est mobilisé là. Et puis l’ordre juridique qui vient volens nolens s’imposer quoi. « Ni crime ni délit » article 64. Au point qu’on puisse se poser la question si actuellement on a pas rendu plus difficile l’appréciation des faits parce que, moi j’attends qu’on m’explique qu’est-ce que c’est que l’abolition du discernement et du contrôle des actes. S’il y a quelqu’un ici qui est capable de me dire jusqu’à quel point il a le contrôle de ses actes, ou son discernement, je lui donne le pon-pon.

X : Dans les années 70, il y a eu l’affaire Ferraton[17](17)

E. Frignet : Ce qui est important à préciser dans ces articles, c’est, que ce soit le 122-1  « au moment des faits » ou dans l’article 64 « au temps de l’action », cela veut dire qu’on peut avoir quelqu’un qui serait grand psychotique reconnu, hospitalisé à de maintes reprises, qui pourrait commettre un acte crimino-légal et pourtant les experts pourraient conclure que au moment où il est passé à l’acte, ce n’est pas sa maladie qui l’a poussé à commettre ce crime. Et que donc il doit aller, qu’il est donc responsable de cet acte et ça peut se discuter comme terme.

M. Czermak : Alors là on est dans un problème. Nous ne savons plus ce que c’est qu’une psychose, et les experts eux-mêmes sont infoutus de dire sur quoi ils s’appuient. Et donc les déterminations, les décisions elles participent de préoccupations plutôt sociales. Vous l’avez évoqué d’emblée. Qu’est-ce qui fait qu’il y a de moins en moins de non-lieu pour cause mentale et que les prisons sont pleines de dingos.

M.P Flores : Parce qu’ils sont tous responsables. Ils sont tous responsables.

M. Czermak : C’est très intéressant ça. Considérer que le citoyen de base serait responsable à tout instant de tout ce qu’il fait. Si vous tombez amoureuse d’un homme ou d’une femme, est-ce que vous êtes responsable ? A quoi ça tient ? Donc y a des choses, sur lesquelles évidemment en droit on a beaucoup de mal à se prononcer. La tendance si je ne me trompe pas ça a été de dire : « Vous êtes responsable de tout ce que vous faites. » La question de la responsabilité elle est [inaudible].

O. Oudet : Déjà à cette époque là, toutes ces questions étaient là sur la table. Exactement celles d’aujourd’hui. L’expression qui met en relief cette problématique se trouve dans les conclusions de la chambre de mise en accusation. Les juges se sont posés la question de savoir s’ils allaient le renvoyer aux assises ce gars là. Ils ont réunis la chambre de mise en accusation. Je cite « Jules Chabot a reconnu tous ces faits et a dit avoir agi sous l’empire du ressentiment contre sa mère. Il paraît même qu’il avait préparé son arme depuis longtemps pour en faire ce criminel usage. L’inculpé a eu dans sa jeunesse une maladie cérébrale qui a laissé des traces dans son organisation. On a donc du interroger – et c’est ça l’expression que je voulais vous citer –  la mesure de sa responsabilité – .

M. Czermak : Le discernement est déjà là.

O. Oudet : C’est extraordinaire cette expression. D’après ce que j’ai compris, en 1810 l’article 64 a été rédigé comme on l’a cité, mais en 1832, il y a eu une réforme de la loi pénale et donc on a introduit les circonstances atténuantes, et du coup, à ce moment là, il allait falloir calibrer. Du coup les choses étaient beaucoup moins tranchées finalement. Alors ça avait sans doute des avantages dans certains cas.

J. Perrin : Ben oui c’est humain quand même. C’est un gros progrès

X : Oui, ça peut être intéressant d’entendre l’accusé pour savoir s’il demande à répondre de son acte. Et là en l’occurrence, il semblait qu’il demandait, que le commissaire vienne l’entraver. Il avait envie de répondre de son acte. L’entendre malgré toutes ces pièces. Et on sait que parfois, par exemple pour Althusser, que ce soit positif qu’il y ait un procès et que ce ne soit pas relégué au nom d’une irresponsabilité. Voilà. Ça peut être intéressant d’avoir un procès, de répondre de son affaire même si on a une maladie mentale. Parce que la maladie ne fait pas autorité contre la parole du sujet. Je rejoins tout à fait Edouard que c’est intéressant qu’il soit entendu avec en contrepoids une [inaudible]

M. Czermak : C’est un vrai problème. L’affaire Althusser. Il voulait être jugé. Mais, si moi je suis mélancolique, je vais demander à ce qu’on me juge.

X: Mais le résultat quand même c’est qu’Althusser a été relégué. Ça serait intéressant de savoir. / dans le cas de Jules Chabot ce qu’il en est résulté. C’était peut-être positif pour lui de faire ses huit ans de prison, d’avoir son contrôle judiciaire, alors que dans un asile. Il demande, la mère rit. Moi je me souviens d’un témoignage où un criminel qui avait donné je sais pas 20 coups de couteau à sa compagne, et bien il expliquait qu’elle avait tellement rit de lui que c’était insupportable et que donc il s’était acharné sur son corps.

M. Czermak : Ça je pourrais dire ça d’une femme qui se jouerait de moi. Après tout, si je suis un névrosé normal, si une femme se moque trop de moi, imaginons que je la frappe puisque c’est la journée des femmes battues. On va dire oui, elle l’a nargué, il l’a frappée et tout le monde a compris. Mais on n’a rien compris du tout. Rien du tout. Est-ce qu’on va prendre la plainte d’Althusser : « J’aurais dû être jugé. »

X : Non mais je crois que Legendre aussi posait la question. Le procès peut permettre. L’accusé peut demander à être jugé.

M. Czermak : Ça dépend, ça dépend c’est pas des trucs qu’on traite à la louche. Quand Althusser c’est pointé ici un dimanche matin avec le médecin de l’école normale supérieure, heureusement que je n’étais pas de garde. C’était l’un de mes copains. Enfin il venait de tuer Hélène sa femme. Il était mélancolique

X : il était aussi exaspéré peut être par des années de dominations d’une mégère.

M. Czermak : En droit Edouard me rectifiera et Jean aussi, en droit, quand on est médecin on s’appuie sur des questions cliniques, on ne prend pas en considérations les questions d’opportunité juridique ou de… Le droit est clair là-dessus. Il est malade ou pas ?

X : Mais alors la parole du sujet. Edouard semble nous dire…

M. Czermak : Mais la parole du sujet c’était pour Althusser la parole d’un état mélancolique. Alors ce qui a été mal fait dans l’affaire Althusser, je peux vous le dire, on est entre nous. Il eut été normal, mais là c’était en urgence un dimanche matin : « Vous avez tué votre femme et votre médecin vous envoie. Dans ce cas là, moi je constate que vous êtes mal en point, j’appelle les flics, vous allez leur dire que vous avez buté votre femme. On vous envoie à l’infirmerie de la préfecture de police, et, au vu de votre état, ils vous hospitaliseront s’ils le jugent opportun et du coup, évidemment, pas de sanction pénale, parce que pas de crime ni délit.

X : Et ce serait une sanction de la société

M. Czermak : Ce jour là, petite histoire, le procureur de la république de Paris est grimpé au plafond, il s’imaginait qu’on lui volait un client. Et il n’avait pas tort, puisqu’on a, on aurait du faire autrement. Quoi qu’il en soit, expertise contre expertise, bla bla bla. Mais la plainte d’Althusser, elle vaut quoi là-dedans. Parce qu’elle est à apprécier cliniquement.

X : Le fait d’être jugé, je crois que Pierre Legendre le défend bien.

M. Czermak : L’opinion de Legendre, je la connais, ça peut pas être la mienne. Moi je ne suis pas juriste.

X : Je veux dire qu’en l’occurrence l’accusé peut demander à être jugé, à endosser sa responsabilité même s’il est malade, dit malade.

M. Czermak : Il peut demander ce qu’il veut bien entendu. Mais tout patient tout patient a le droit de revendiquer d’être jugé, d’endosser sa responsabilité etc. Bien sûr. Moi je peux revendiquer ma responsabilité de choses que je n’ai pas commises.

E. Quilin : Je me demandais si au moment du passage à l’acte,  si on parle du sujet si on parle du sujet de l’Autre, du sujet de l’inconscient, est-ce qu’on peut soutenir qu’au moment de l’acte il y a un sujet où que finalement il n’y en a jamais, si c’est un acte.

M. Czermak : Très belle question Elsa. Puisque sur la question de ce qu’on appelle le passage à l’acte à distinguer de l’acting out, on est nul. Y a très peu d’articles, très peu d’écrits dans notre littérature qui soient articulables à la question. Y a quelques points d’avancées de Lacan dans son séminaire sur l’angoisse. Pour le reste, je m’honore d’avoir essayer d’avancer sur la question mais on est nul là-dessus. C’est un point de clinique fondamental pour les experts et pour les juristes. C’est quoi « passage à l’acte » tout le monde utilise ce terme. Et si au moment de l’acte le sujet était absent de son acte.

E. Quilin : Ce que je voulais vous demandez c’est si tout acte à ce moment là, pour nous en tout cas, je ne parle pas pour les juristes, il ne peut pas y avoir de sujet à ce moment là.

M. Czermak : Oui, c’est formidable. A partir du moment où il n’y a plus de sujet à l’acte, on va juger quoi.

E. Frignet : Qui est-ce qu’on va juger ?/

M. Czermak : Qu’est-ce qu’on juge. Donc on juge évidemment la paix sociale, ou la sérénité sociale

E. Quilin : ça c’est une autre affaire, mais pour nous ?

M. Czermak : Pour nous, à partir du moment où dans un certain type d’acte, Lacan appelait ça le point d’acte, y a plus de sujet, on va juger qui ou quoi ?

E. Quilin : La responsabilité, c’est a posteriori. Est-ce qu’il y a un deuxième tour ?

M. Czermak : C’est ce que font les magistrats instructeurs, les gendarmes etc, ils introduisent là-dedans une causalité qui serait lisible ou audible par les jurés, le jury populaire.

E. Frignet : C’est ça. Il faut se rappeler que les jurés sont populaires. Ils ne sont pas rôdés à l’exercice de la vie psychique, ou à des choses comme ça, autant que les gens qui travaillent là-dessus, donc. Qu’est-ce qu’ils peuvent entendre eux à ces questions, quand ils restent – il faut aussi remettre dans le contexte – c’est à dire qu’un procès d’assises, ça peut durer cinq jours. Pendant cinq jours, c’est des débats de neuf heures jusqu’à vingt-deux heures, c’est très physique. Il faut rester concentré, il faut aussi/

M. Czermak : Sans compter ce qu’insuffle le magistrat qui préside.

E. Frignet : Voilà. Mais aussi les avocats, l’avocat général, en fait les jurés sont pris dans une sorte de tourbillon. Parfois, ils n’ont même pas envie d’être là, ils sont quand même obligés de venir pour décider du destin d’une personne.

M. Czermak : Voilà, voilà ! A propos du passage à l’acte, on nous sort la question du suicide.  Quand quelqu’un essaye de se buter on dit, il a essayé de se suicider. Mais on n’en sait rien. Un type qui passe par la fenêtre. C’est un suicide ou une précipitation ? Parce que c’est pas la même chose.

X : Cependant quand on évoque ça aux collègues, si on veut envoyer nos patients pour un petit séjour hospitalier. Bonjour la réception.

M. Czermak : Parce que tout le monde fonctionne avec la psychologie normale du bon sens, et on voudrait piger ce dont on n’a pas les coordonnées. J’ai eu sur les bras une affaire, où on ne m’a pas demandé de prêter serment. Un môme de boucher – c’est pourquoi j’y pense – enfant de boucher, 6H45 du matin, il se lève, il prend le couteau de papa, il descend papa de 100 coups de couteau et maman de 45. Voilà. Plusieurs collèges d’experts, Avis, contre-avis, et les meilleurs disant : « Il est responsable. » Et le môme effectivement, il causait comme tout le monde. J’ai dû batailler. Pour qu’on reconnaisse qu’il ne l’était pas… Il se trouve que j’ai gagné la partie. Ce qui n’est pas un joli terme de dire une chose pareille. Enfin bon, il a été suivi par un copain en province. On l’aurait foutu en tôle. Depuis il est devenu pâtissier et il fait des bons gâteaux. Voilà. Papa et maman sont morts. Enfin, la société n’est pas capable de réécrire l’histoire. Ce qui est fait est fait. Ça on n’est pas foutu de… Le môme, « moi Pierre Rivière », ce qui est formidable, dans ces cas là. Alors là, il suffit de lire. Ce qui est étonnant c’est qu’ils l’aient déclaré coupable. Tout petit, il prenait les bestioles, il leur arrachait les yeux. Enfin, les oiseaux, il les maltraitait. On est devenu très foucaldiens dans l’affaire. Il a écrit « Surveiller et punir » et le résultat c’est que la doctrine du ministère de la justice, c’est Foucault. Donc Foucault a gagné la partie.

T. Florentin : Le moment est venu de dire à Edouard qu’il a été attiré dans un traquenard,  dans la mesure où il est amené à s’exprimer devant une assemblée où nous travaillons à l’aide de verbatim, c’est à dire de transcriptions d’entretiens. Parce que nous soutenons ici le pari que la psychose se lit parfois plus qu’elle ne s’entend pour des raisons diverses, notamment transférentielles et contre-transférentielles. Mais pas seulement.

M. Czermak : Thierry, je suppose qu’Edouard n’a été attiré dans aucun traquenard, ne serait-ce que pour des raisons affectueuses.

E. Frignet : Je m’y suis jeté volontairement.

M. Czermak : Voilà. Et vous ne demandez pas à être jugé.

E. Quilin : J’essaye de reposer ma question. Par exemple, vous avez fait la distinction entre suicide et précipitation. Á part Socrate qui se suicide, à part ce suicide là, est-ce que ça tient. Est-ce que vraiment la psychose. Il se suicide, au moment de son suicide je ne pense pas qu’il puisse dire : « il se suicide. »

M. Czermak : Mais c’est très intéressant l’histoire de Socrate. Si c’est un type α, β, on va dire : « Il n’en pouvait plus de sa femme. » C’était une infernale la femme de Socrate. « J’en peux plus, plutôt que de la butée, je cède au grecs, je les insupporte, je recueille leurs confidences, je me butte. » Explication plausible en justice.

E. Quilin : A part ce cas là, ce que je veux dire c’est que quand même. Le névrosé basique au moment du point d’acte où il se suicide. A ce moment là, il n’y a pas de sujet qu’il soit psychotique ou névrosé point. A ce moment d’acte. Sauf s’il rate son suicide.

M. Czermak : Je ferai la remarque suivante. On est tellement dans l’opacité, concernant – Lacan disait le point d’acte – disons plus précisément le passage à l’acte, que bien entendu on pense que tout névrosé dans telle ou telle type de conjoncture est capable de passer à l’acte à proprement parler. C’est à dire qu’il y a plus de sujet à l’acte. Et je crois que même on peut aller plus loin. Si on examine finement la question du passage à l’acte, c’est pas loin de ce qu’est la structure d’un point de psychose./

E. Quilin : On ne peut pas distinguer à ce moment là.

M. Czermak :  C’est l’un de nos graves enjeux, de nos graves enjeux, ouais. Et là dessus, ce n’est pas étonnant que toute la psychanalyse ait calé. Il n’y a pas grand chose là-dessus. Ça c’est un enjeu de doctrine et de clinique formidable pas seulement pour les praticiens, mais pour les juristes.

X : Sauf que la lisibilité actuelle, pour la majorité des experts, elle n’est plus clinique, mais ce fait par des échelles.

M. Czermak : On a les échelles de douleurs, on a les échelles de jouissance.

E. Frignet : Surtout ce qui se joue actuellement c’est les échelles de dangerosité. C’est à dire qu’on demande au psychiatre de s’exprimer sur une dangerosité psychiatrique, mais également, et au psychologue aussi, une dangerosité sociale. C’est à dire qu’on leur demande parfois : « Ce sujet va-t-il récidiver ? » Comme si c’était possible de prévoir

M. Czermak : Au psychiatre une échelle de dangerosité au psychologue une échelle sociale ?

E. Frignet : On demande l’échelle sociale aux deux en fait. Tout ça dépend des magistrats et de leur conception de la chose. Les questions sont écrites noir sur blanc : – Le sujet a-t-il agit sous l’empire d’une maladie mentale ? Ces actes sont-ils à imputer à cette maladie ? La décrire ? Quelle est-elle ? Et ensuite : Le sujet va-t-il récidiver ? C’est une question que les magistrats posent aux experts.

M. Czermak : C’est nouveau, je ne savais pas. J’avais les vieilles cinq questions du code pénal : – Est-ce qu’il est atteint d’une maladie mentale ? Est-ce que l’acte est en rapport avec la maladie mentale ? Est-ce que préalablement c’était connu ? Est-ce qu’il est curable et réadaptable ? Sauf qu’on est jamais foutu de savoir s’il est curable ou réadaptable.

E. Frignet : Ça vient un peu à la suite de cette question : Est-ce qu’il est réadaptable, sous entendu va-t-il récidiver ou non ?

M-P Flores : Il y a deux termes : la dangerosité et la récidive, qui sont deux termes à la mode depuis cinq ou dix ans. Les accusés font tout pour nous[faire entendre] « Je veux pas récidiver. » Donc ils vont voir le psy, voilà.

M. Czermak : On est tous des récidivistes. Ecoutez c’est vachement intéressant. Il faudra poursuivre cette question. Parce que ça concerne un point opaque de la clinique et du droit. Qui est d’abord : c’est quoi ce qu’on appelle vaguement un passage à l’acte ?

E. Frignet : Et surtout qu’est-ce que c’est que la responsabilité. On sait ce que c’est que la responsabilité pénale, mais qu’est-ce que c’est que la responsabilité tout court. Est-ce que c’est la même chose ? Est-ce que toutes les responsabilités sont collables à une responsabilité pénale ?

M. Czermak : Ce que vous dites c’est qu’on s’achemine à ça. On s’achemine à ça. Toute responsabilité est susceptible de tomber sous le coup d’une inculpation pénale.

X : Est-ce qu’on peut imaginer que le patient de paroles imposées, ou celui là par exemple saute par la fenêtre et estimé que sous le coup des paroles imposées, le sujet n’est pas responsable. C’est ça.

E. Frignet : Que l’acte ait été imposé par des ordres, par un automatisme mental, dans l’affaire Chabot c’était pas le cas ou peut être que ça l’était et que ça n’a pas été trouvé par les experts ou que ça n’a pas été décrit. On peut se poser la question.

O. Oudet : Ce que je vous propose, puisque on a la chance que ce soit des documents qui sont communicables. Je peux transmettre le dossier à ceux que cela intéresse. Et vous verrez à quel point cette position que semble tenir l’accusé dans les instants qui suivent l’acte, cette position ne tient pas le long de la procédure. Ça ne tient pas, ça s’éparpille comme le sac de sable qu’il a laissé dans sa chambre. C’est exactement pareil.

M. Czermak : Dans ce genre d’histoire, la position de l’accusé ne tient pas, mais les questions de l’interrogateur, elles tiennent le coup. C’est à dire que lui, il sait ce qu’il cherche.

O. Oudet : Quand vous lisez le réquisitoire définitif, effectivement, vous voyez que les questions du juge d’instruction, la manière dont le juge d’instruction a interprété l’affaire est reprise in extenso dans le réquisitoire définitif. Il a normalisé l’affaire.

E. Frignet : Je voudrais juste rajouter une dernière petite précision qui est au niveau on va dire philosophico-juridique. Donc en fait à la fin, il est condamné, donc il prend huit ans de travaux forcés. Donc il prend un peine. Et, en droit, la peine ça vient du latin poena qui veut dire la rançon de l’acte anti-social. On demande rétribution pour un acte commis et la racine grecque c’est poïne qui veut dire le poids, dans le sens compensation de l’acte.

O. Oudet : La procédure ne s’est pas arrêté là. L’avocat de Jules Chabot a fait une demande de pourvoi en cassation. Et savez-vous comment était motivée cette demande ? Il reprochait aux Dr Lasègue et Dr Blanche d’avoir eu un entretien dans le bureau de l’avocat général entre leur première et leur deuxième déposition  ce qui était interdit par la procédure. Le pourvoi en cassation a été rejeté.

J. Perrin : Ils ont sauvé sa tête ses avocats.

M. Czermak : A l’époque ont les envoyaient à Cayenne

O. Oudet : Avant d’aller aux travaux forcés, il en a déjà fait un an en quelque sorte. En fait il avait été condamné deux fois pour vagabondage en 75 et en 76. A la fin en 1876, il a été confié à une assistante sociale qui lui a trouvé un patron. Un ancien boucher, collègue de son père qui l’a gardé pendant un an. Pendant un an, il a coupé des pieds de boeufs pour fabriquer de l’huile. Il était dans une brigade de trois. Le patron dit de lui: « Mais ce type là, il n’avait aucune consistance etc, mais comme ils étaient dans une brigade, eh bien il était bien forcé de bosser, et ils se moquaient à longueur de journées de lui en fait. » Et donc j’imagine qu’aux travaux forcés, ça a dû être exactement pareil.

M. Czermak : Il ne faut pas réécrire rétrospectivement. On ne peut pas ré-écrire rétrospectivement la clinique. Notre clinique actuelle est déjà tellement obsolète que quand on parle de psychose, on ne sait même pas de quoi on parle. Donc, il ne faut pas juger nos prédécesseurs à l’aune de ce que nous croyons savoir.


Notes

[1]     Les procès se sont tenus à huis-clos, les chroniqueurs judiciaires n’ont donc pas entendu les dépositions des psychiatres.
[2]     La victime a été examinée par le Dr Charvot requis par le commissiare de police le jour de l’acte criminel et le jour du décès. L’autopsie a été réalisée par le Dr Laugier. Nous n’avons pas jugé nécessaire de transcrire ces pièces du dossier dont les conlusions sont reprises par le commissaire de police et le juge d’instruction.
[3]     Il s’agit d’Emile Blanche qui a dirigé à partir de 1852 la maison de santé  que son père, Esprit Blanche avait fondée. Dans la suite de cet exposé, nous avons retrouvé les publications que les Dr Blanche et Lasègue ont fait de ce cas. Charles Lasègue, Des délires par accès du point de vue médico-légal, in Archives générales de médecine janvier  1878, p 5-22. Emile Blanche, Des homicides commis par les aliénés, librairie Asselin Paris 1878, p 119-130.
[4]     Il s’agit de la mort au mois d’août 2014 à Ferguson, banlieue de Saint Louis, Missouri, d’un jeune homme lors de son interpellation par un agent de police. Le 24 novembre 2014, le grand jury de l’état du Missouri ayant examiné les pièces rassemblées par le procureur, ayant écouté et interrogé les témoins a  conclu qu’il n’y avait pas lieu de mettre en accusation le policier. Des manifestations de protestation violentes ont eu lieu suite à cette décision de non-lieu. http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/11/25/ferguson-4-arguments-du-grand-jury-justifiant-le-non-lieu_4528812_3222.html#
[5]     encore une notion de vocabulaire juridique : pour un suspect on parle d’un interrogatoire, pour un témoin on parle d’une déposition.
[6]    Reprenant la série des dépositions des voisins de l’accusé, nous avons noté que le juge d’instruction demandait systématiquement aux témoins si oui ou non ils considéraient que l’accusé, malgré tout, avait sa raison. On remarque alors que ceux des témoins qui concluent que Jules Chabot avait sa raison ont tous été convoqués à la barre.
[7]     La question est aussi celle du serment d’Hipocrate et du serment devant la cour de justice, rejoignant alors la nécessaire distinction des discours médical et juridique.
[8]     Le jury n’a pas à motiver sa conclusion. Il répond aux questions de l’accusation.
[9]     En préface de la réédition en 1999 par l’Harmattan du rapport de Gilbert Ballet intitulé « L’expertise médico-légale et la question de la responsabilité », le Dr Zagury cite la circulaire du Garde des Sceaux Chaumié, datée du 12 décembre 1905 : « certains médecins légistes croient avoir suffisamment rempli la mission qui leur a été confiée en concluant sommairement à une responsabilité « limitée » ou « atténuée ». Une semblable conclusion est beaucoup trop vague pour permettre aux juges d’apprécier la culpabilité réelle du prévenu d’après son état mental au moment de l’action ; mais son insuffisance tient généralement au défaut de précision du mandat qui a été donné à l’expert.[…]Il importe que l’expert soit mis en demeure d’indiquer avec la plus grande netteté possible dans quelle mesure l’inculpé était, au moment de l’infraction, responsable de l’acte qui lui est imputé. Pour atteindre ce résultat j’estime que la commission devar toujours contenir et poser d’office, en toute matière, les deux questions suivantes : – dire si l’inculpé était en état de démence au moment de l’acte dans le sens de l’article 64 du Code Pénal ; – dire si l’examen psychiatrique et biologique ne révèle point chez lui des anomalies mentales ou physiques de nature à atténuer dans une certaine mesure sa responsabilité. » La position de G. Ballet est bien connue : : « 1) que lorsqu’on parle de responsabilité morale, le mot n’a de sens qu’en tant qu’il implique la croyance au libre arbitre, 2) que s’en servir c’est faire nécessairement incursion sur le terrain métaphysique et se solidariser avec une doctrine métaphysique. » page 3 du rapport.
[10]  Jean-Luc Viaux a fait cette déclaration en novembre 2005 au cours du procès en appel auprès de la cour d’appel de Paris.
[11]   Emile Blanche 1820-1893, médecin aliéniste fils et successeur d’Esprit Blanche 1796-1853 publie en 1878 chez Asselin « Des homicides commis par les aliénés. Charles Lasègue 1816-1883, élève de Falret et de Trousseau, médecin chef de l’Infirmerie du Dépôt de la pref de police de Paris de 1850 à 1880.
[12]   Rebaptisée Avenue Jean-Jaurès le 19 août 1914.
[13]   Dépositions devant le juge d’instruction Saffers en date du 15 mai 1877, page 13 des pièces transcrites. Voir aussi page 4 le rapport des agents de police daté du 7 mai signé du sous-brigadier Chardon. D’emblée ces documents mettent en relief le fait que ce qui est dit dépend de celui qui écoute.
[14]   Dépositions devant le juge d’instruction pages 14-16 du 15 mai et rapport de police du 7 mai pages 6 et 7
[15]   L’interrogatoire du 18 mai mérite met aussi en relief l’étrangeté de la position de l’accusé.

Demande du juge d’instruction – *** d’un acte passé chez Mt.*** notaire à Paris, vous aviez reçu de votre mère ce qui pouvait vous revenir et vous saviez que vous n’aviez plus rien à lui réclamer.

       Réponse de l’accusé  – Oui Monsieur, je le savais.

       D – C’est vous qui aviez provoqué un rendement de compte de la part de votre mère.

       R – Je lui réclamais ce qu’elle me devait comme salaire lorsque je travaillais chez elle.

       D- Tous les comptes avaient été arrêtés, vous aviez pris l’engagement de ne rien lui réclamer et depuis deux ans vous n’étiez allé la voir. Expliquez-nous pourquoi vous aviez cessé de travailler le vendredi 4 mai dernier en disant à votre patron que vous alliez chercher à rentrer avec votre mère.

       R – J’avais en effet l’intention de me rendre chez ma mère pour rentrer chez elle.

       D – Vous ne vous y êtes cependant pas rendu ce jour là.

       R – Non Monsieur, car le samedi 5 mai, je suis allé toucher ce qui me revenais chez mon patron et je suis resté dans le quartier de Grenelle de la journée du samedi à la journée du dimanche 6 mai. Je suis rentré me coucher le 6 mai qu’il faisait encore jour.

       D – A quelle heure vous êtes vous levé le lundi 7 mai ?

       R – A 11h du matin, je suis allé déjeuner puis je suis revenu me coucher tout habillé jusqu’à une heure. Je suis resté ensuite dans le quartier puis me suis rendu chez ma mère.

       D – Persistez-vous à dire que huit jours avant le 7 mai vous aviez conçu le projet de tuer votre mère.

       R – Non Monsieur je n’ai eu cette idée que le jour même. Le 7 mai lorsque je me suis rendu chez elle et j’ai emporté avec moi le poids d’un kilo attaché à une corde dans le but de la tuer si elle refusait de me reprendre avec elle.

       D – Vous aviez cependant acheté le poids et la corde huit jours auparavant.

       R – Oui Monsieur mais c’était pour m’en servir avec d’autres poids et la corde servait à les lier ensemble.

       D – Vous avez vendu tous les poids ne conservant que le poids d’un kilo attaché à une corde.

       R – Oui Monsieur je l’avais conservé pour m’en servir, s’il y avait lieu, contre ma mère, c’est avec cette idée que je me rendais chez elle.

       D – Vous êtes arrivé le 7 mai dernier chez votre mère vers les 4h ½, vous n’avez rien répondu à votre frère Eugène qui vous adressait la parole, vous avez parlé avec votre frère Charles d’aller prendre un verre avec lui.Vous êtes resté ainsi ½ heure dans la boutique de boucherie regardant vos frères servir les pratiques puis après le départ de votre frère Eugène qui était parti faire une course pendant que votre frère Charles lisait le journal vous seriez entré dans l’arrière boutique où votre mère se tenait à la caisse. Expliquez-nous ce qui s’est passé.

       R – Lorsque je suis entré dans l’étal chez ma mère elle était seule à la caisse, mes deux frères sont survenus, ils ne m’ont rien dit. Je suis resté dans la boutique jusqu’à ce que les pratiques soient parties. Je me suis avancé près de la porte de l’arrière boutique et je suis entré près de ma mère qui me demandait si j’étais sans travail. Je lui répondait que oui, elle me demandait ce que je gagnais; je lui répondais que j’avais gagné 3,5 Francs par jour, elle me fit observer qu’avant de me remercier on aurait du me donner mes 8 jours. C’est en causant ainsi avec ma mère qu’elle me dit que je devais me chercher une occupation, que j’avais mal agi avec elle, que je l’avais mise sur la paille, qu’elle était réduite à travailler chez les autres, que c’était bien triste pour elle. A ce moment là j’ai vu que ma mère se moquait de moi car aussitôt après notre procès elle avait acheté un fonds et un mobilier, c’est pourquoi m’étant levé j’ai retiré de ma poche la corde au bout de laquelle se trouvait un kilo et je l’ai frappé à la tête en me servant de la corde comme d’une fronde. Ma mère ne m’avait pas vu sortir cette corde et ce poids et je ne sais pas au juste combien de coups je lui ai porté.

       D – Vous ne vous rendez pas compte du crime abominable que vous avez commis, ne vous repentez-vous pas, n’avez-vous pas de remords ?

       R – Il y a des moments où je regrette ce que j’ai fait, mais dans d’autres, elle m’y a provoqué.

       D – Vous viviez dans un isolement qui vous a fait croire ce qui n’existait pas ; vous étiez convaincu que votre mère voulait se moquer de vous en vous disant qu’elle était chez les autres et sur la paille tandis que vous croyiez qu’elle avait acheté un fonds et un mobilier. Votre mère vous disait la vérité, elle était chez votre frère comme caissière. Votre frère l’avait prise avec lui pour lui venir en aide et ne point l’abandonner. Votre frère qui était un honnête garçon et qui était resté 14 ans dans ce fonds de boucherie, a su par sa bonne conduite en devenir acquéreur avec de grandes facilités pour le paiement qui lui ont été accordées par les héritiers de son ancien patron. Vous avez conçu contre votre mère une vengeance que seule votre imagination a pu vous suggérer.

       R – Je persiste à dire que ma mère ne nous a pas rendu de compte.

[16]  Formule qui dit bien que l’ abord non pas formel mais structurel du cas reste à rapporter.
[17]   Le procès de Serge Ferraton a eu lieu à Douai en 1978. Cet homme avait été interné dans des asiles psychiatriques depuis l’âge de 9 ans jusqu’à l’âge de 24 ans. Il en était sorti en 1969. En 1978, il a été condamné à perpétuité pour l’assassinat de sa femme et quatre mois plus tard le viol et l’assassinat d’un enfant de 12 ans. Ferraton, le fou l’assassin a été publié chez Doin la même année.