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par Choula Emerich

Rencontre autour de deux ouvrages : La Psychanalyse en Palestine (1918-1948) & La Psychanalyse à l’épreuve du Kibboutz (ED. Campagne Première)

Guido Liebermann dans son livre remarquable, nous a décrit la vie intellectuelle en Israël depuis le début de l’immigration juive en Palestine dès les années 1900, soit, 50 ans avant la création de l’Etat d’Israël.

Cette immigration fut induite par une période de pogroms et de persécutions en Europe centrale et orientale consécutives à l’assassinat du star Alexandre 2 de Russie. Les persécutions qui se perpétuèrent en 1903 à Kichivev et Hommel et ce jusqu’à la fin de la première guerre mondiale déclenchèrent un départ important d’intellectuels juifs d’Europe centrale et orientale. Il nous apprend comment cette immigration est liée, en Europe dès le début du 20ème siècle, aux interférences entre des intellectuels inspirés par le marxisme de l’URSS, et des intellectuels Européens de gauche et sionistes qui aboutirent en 1920 à la création des premiers Kibboutzim en Palestine, après la prise de conscience que la révolution socialiste et le marxisme ne mettraient pas fin à l’antisémitisme violent que le Juifs subissaient depuis le début du siècle,

Après la révolution russe manquée de 1905, 40.000 immigrants arrivent en Palestine entre 1904 et 1914 , principalement des intellectuels bourgeois et traditionalistes.

C’est donc dans cette perspective, marxiste-sioniste, que s’instaurèrent les premiers Kibboutzim et dès leur création ils se trouvèrent devant la question fondamentale de l’organisation de leur micro-société :

Comment intégrer les notions du marxisme dans un pouvoir et savoir vivre ensemble, tant au niveau du travail, par ex . y aurait-il une division du travail entre les hommes et les femmes, de même qu’au niveau des relations amoureuses et sexuelles entre eux. (Préconiseraient-ils ou pas l’amour libre, dans leur structure ? (Par ex ; dans une petite colonie de10 hommes et 3 femmes dont 2 étaient dans un couple fixe)

Autre problème conflictuel et épineux, la question des enfants présents et à venir, et la question de leur éducation, par qui, et comment, avec pour principe que les enfants ne sont pas la propriété des parents.

Autre difficile question à résoudre, celles des relations à inventer avec les palestiniens arabes qui étaient autour d’eux et avec qui ils souhaitaient des relations « socialistes et humanistes » de non domination et de non exploitation, fidèles à leur appartenance marxiste.

Dès le début des collectivités agricoles, avant même leur regroupement politique sous le nom centralisateur de Kibboutz Artzi

Il est clair que les points fondamentaux de controverses et d’opposition furent dès le départ,

— leur relation au travail, valeur idéologiquement sacrée, la relation homme femme, avec ouvertement la question de la sexualité, et très vite l’éducation des enfants afin de ne pas les engluer dans les valeurs « bourgeoises » auxquelles eux-mêmes, avaient été assujettis en Europe occidentale.

Ces intellectuels qui venaient d’Europe, prirent, en plus du travail dans les champs et les ateliers, une grande part à la culture, et mirent très vite en place, des lieux de réflexion autour de l’éducation et de la pédagogie et créèrent des bibliothèques, des revues et dès 1908, un journal qui faisait une très large place à l’oeuvre de Freud et à la Psychanalyse.

Cette vague d’immigration était « obsédée » nous dit Liebermann par l’idée de fonder une nouvelle identité juive, aux antipodes de l’identité du juif humilié de la diaspora, et le sort des kibboutzim se joua entre cet idéalisme humaniste volontaire et la psychanalyse freudienne à laquelle ils furent dès départ très attachés.

Ils traduisirent les œuvres de Freud, dès qu’ils le purent, vinrent à Vienne et Berlin pour y faire leur analyse, pour s’informer sur la pédagogie auprès des analystes d’enfants, d’adolescents et des nourrissons, créèrent leurs journaux psychanalytiques qui exposaient des thèses contradictoires, mais sans jamais céder sur l’importance de Freud et la psychanalyse.

Dès les années 30, l’oeuvre de Freud, baptisée de science juive par les nazis, fut bannie de la langue et de la culture allemande mais pénètre profondément la culture hébraïque.

L’œuvre de Freud fut traduite, commentée, elle enrichit l’hébreu moderne, la détachant du même coup du pouvoir religieux par l’introduction de mots nouveaux pour rendre compte des concepts freudiens. Il y eu, autour de Freud et de son œuvre, un bouillonnement intellectuel qui fut un pilier de la nouvelle culture tant dans la presse spécialisée que dans les journaux à grand tirage.

Les pédagogues puis les psychanalystes vivant en Palestine furent également aidés par des psychanalystes européens, souvent communistes, qui leur facilitèrent les échanges, ils les accueillirent dans leurs propres institutions pour les former et leur transmettre la littérature analytique, voire les aider financièrement pour leur permettre d’éditer leurs traductions en hébreu ou les actes des congrès auxquels ils assistaient.

Dès l’avènement de Hitler au pouvoir, en 1933, de nombreux analystes européens vinrent grossir les rangs des analystes-éducateurs en Palestine.

Entre les années 1945 et 1950, un virage marxiste s’implanta durablement dans les kiboutzim et ce fut le début des difficultés théoriques entre les analystes-éducateurs israéliens et la psychanalyse freudienne ;

Freud est resté étranger à tout sentiment nationaliste alors que les nouveaux émigrés voulait créer un homme nouveau, ils se heurtèrent à Freud qui était sceptique sur leur nationalisme et sur les réalisations soviétiques sur lesquelles ils s’appuyaient.

Certains d’entre eux commencèrent alors à critiquer ses œuvres, la psychanalyse n’était pas une « vision du monde », et eux, ils voulaient réaliser un juif nouveau,

«l’avenir d’une illusion» qui fut accueillie par Golan (qui resta fidèle à la psychanalyse jusqu’à sa mort en 1960) comme une œuvre majeure taillant en pièces la religion et donc libératrice, les juifs religieux rétorquèrent qu’ils construisaient le pays, et firent une telle pression politique que le pouvoir bascula au saint de la Société psychanalytique du choix de la psychanalyse à celui de la médecine et de la psychiatrie, excluant du droit à analyser les adultes et à la direction des cures des didacticiens par des non-médecins, contre l’opposition virulente de Freud, chaque fois qu’il en avait été question.

de « Malaise dans la civilisation » ils dénoncèrent le pessimisme qui contrecarrait leur volonté stalinienne de fonder un homme nouveau libéré des préjugés bourgeois par le travail, la volonté et le matérialisme, et virent en Freud un penseur qui s’opposait à leur idéologie qui persistait dans son exigence de reconnaître la puissance de l’Inconscient et celle de la pulsion de mort.

Mais les reproches les plus violents et accusateurs furent contre « Moïse et le monothéisme » qui les obligèrent à entendre que l’identité pour laquelle ils se battaient avec passion était un leurre, synonyme de violence et de guerre avec l’Autre. Et que leur prophète, Moïse, créateur du peuple juif fut un étranger leur paru insoutenable et pour les religieux blasphématoire.

Il y eut alors une levée de boucliers par les religieux, et je crois que nous pouvons avancer qu’il y eut là une manifestation opiniâtre de l’opposition toujours vive entre les Hassidim et les juifs laïques de la Haskala, le mouvement des lumières.

Mais, tous les livres de Freud, ils les avaient lus, traduits, et commentés, et ils firent pour cela un travail gigantesque, car ils leur fallait les transcrire de l’Allemand, du Yiddish, du Russe, du Roumain, du Hongrois, de l’Anglais, et dans une langue à enrichir et transformer, l’hébreu biblique qui allait devenir l’ivrit moderne. Renaissance d’une langue.

Pour Freud, pas d’homme nouveau possible, pas de religion salvatrice qui éloigna définitivement de lui ceux qui en gardait encore l’envie cachée, et pour parachever les démystifications, Moïse l’Egyptien, venait incarner l’Autre et l’altérité radicale comme seul recours à une existence pacifique, alors que les guerres à l’intérieur du pays et sur les frontières ne leur laissaient pas de repos,

Comment auraient-ils pu concilier leur réalité, à ce que Freud venait massivement démontrer ?

Ce fut pour la majorité des shomrim trop lourd à porter, ils choisirent de renoncer à Freud plutôt qu’à Marx qui leur laissait encore le fantasme d’une vision des lendemains qui chantent et l’espérance d’un juif nouveau.

Un point me paraît encore essentiel à relever. La guerre d’indépendance en 48 avait laissé le pays complètement exsangue et dans une misère effroyable.

Ils ne pouvaient plus être soutenus par l’argent de l’Europe et ce furent les américains et les juifs émigrés qui les aidèrent à relever leur économie y compris alimentaire et qui leur exportèrent leur vision de la psychanalyse en même temps.

Ils ne cédèrent cependant jamais sur la nécessité incontournable de la psychanalyse dans l’éducation des nourrissons, des ados, des enfants déviants et à problèmes, ni sur la formation pédagogique des éducateurs, mais pour le bien des enfants, très peu d’analystes continuèrent à trouver nécessaire l’analyse personnelle pour les éducateurs, et après la mort de Freud, dès les années 50, la psychanalyse freudienne, les amena sur un autre continent, l’Amérique, comment s’arrangèrent-ils de son libéralisme ?

L’Amérique où ils rencontrèrent et s’accommodèrent de l’ego-psychologie, où ils trouvèrent en Anna Freud, l’analyste auprès de qui trouver réconfort contre Mélanie Klein

La mort de Staline en 53 et le début de la déstalinisation n’y changèrent pas grand chose. C’est avec l’Amérique et pas la France ni l’Angleterre avec qui ils continuèrent à débattre.

Pourtant, une des choses importantes auxquelles ils ne voulaient pas renoncer, c’est à l’impérieuse nécessité d’éloigner les enfants, dès leur plus jeune âge de la promiscuité des parents, pensant que la famille était à l’origine des névroses infantiles, des entreprises de séduction, et le lieu où l’interdit de l’inceste était violé.

Ils voyaient dans le père, patriarche tout puissant des familles occidentales d’où ils provenaient, celui qui interdisait l’émancipation des fils, leur servilité et leur possibilité d’ accéder à une jouissance sexuelle. Ils récusèrent donc son autorité et lui préférèrent celle des éducateurs ainsi que celle du groupe d’enfants dans lesquels ils étaient élevés, et ce par l’éducation qu’ils mirent en place, s’appuyant dès le départ, sur les concepts freudiens.

Ils récusèrent Freud et l’ Oedipe freudien comme concept universel, s’appuyant sur Margaret Mead et Karein Horney et l’ego-psychologie.

Je relève cette question du Père et de l’Oedipe, précisément, car elle vient raisonner pour nous, avec la remise en cause de cette fonction incarnée du Père dans les dernières avancées de Lacan.

Se passer du Nom du Père à condition de savoir s’en servir.

L’expérimentation du kibboutz dès ses origines, décida avec une volonté tenace de se passer du Père et de la Mère dans l’éducation des enfants, les mettant sous la responsabilité du kibboutz en leur proposant, dès la naissance, des substituts identificatoires pluriels.

Si ce fut aussi une nécessité contingente du fait de manques e bras pour travailler, ce fut aussi une option hautement politique sur laquelle ils ne sont pas revenus jusqu’à l’explosion du concept même de kibboutz.

Nous pouvons lire là une tentative d’introduire la fonction de Noms du Père, opératoires, qui ne sont pas centrés sur une généalogie mais dans une inscription symbolique singulière pouvant se fixer éventuellement sur une ou des figures incarnant une valeur de référence structurante, dans le kibboutz ,et ce, pour chacun de enfants y compris de la même fratrie.

La famille c’était leur petit groupe de la même tranche d’âge avec les éducateurs qui les avaient en charge.

La névrose n’est plus parentale mais «kibboutzique».

Cette inscription symbolique fut-elle moins aliénante? Cela reste une question,

Il semble que les résultats obtenus pour les enfants ne les ai pas plus prédisposés à la psychose.

d’autant que dans ces groupes d’enfants se trouvaient non seulement les enfants nés au kibboutz mais aussi des enfants orphelins de guerre et des enfants des environs accueillis parce que déviants ou psychotiques .

Les hauts responsables, de la mise en place de ces lieux d’accueils pour les enfants, Golan et Sohar, firent tous deux une analyse Golan à Vienne et Sohar à Berlin, puis, après eux, les éducateurs, dès le départ, reçurent une formation relevant de la psychanalyse , par des conférences, par des lectures d’articles traduits en hébreu, par des mises en commun de leurs expériences et de leurs difficultés, par des participations à des congrès internationaux en Europe pour y confronter leur pratique à ce qui existait, à Vienne, à Berlin et en Russie, et ils purent plus tard, postuler à une demande d’analyse personnelle s’ils en ressentaient la nécessité.

Ils essayèrent de donner un enseignement adapté autant que possible aux besoins et aux désirs de l’enfant,

de comprendre, d’accepter et de leur transmettre, à différents moments, une information sur la sexualité infantile sans répression,

(à partir des 3 essais sur la sexualité infantile de Freud),

ils s’obligèrent à une réflexion toujours renouvelée sur l’âge des relations sexuelles entre adolescents, et sur la pertinence les douches en commun y compris à l’adolescence, et prirent le parti de parler les problèmes rencontrés dans l’espace du groupe auquel ils appartenaient, en essayant de ne pas les refouler. Ce furent des pratiques entre la psychothérapie de groupe et l’analyse sauvage.

Nous connaissons bien les inconvénients de cette pratique, mais nous pouvons aussi en mesurer les avantages car cette pratique exigeante, toujours remise en cause, me semble, avec le recul, autant de points d’appui et de discorde permettant à un sujet de se poser la question d’où il parle et à qui.

Cela ne fut pas toujours une réussite, loin de là, mais chaque point problématique fut remis en question et abandonné ou amélioré selon les résultats obtenus, et la névrose des éducateurs.

Comment aurait-il pu en être autrement ?
Y compris jusqu’au moment où ils durent reconnaître que ne peut être éducateur que celui qui est passé lui-même par l’analyse, surtout avec les nourrissons.

C’est d’ailleurs un des rares appuis freudiens sur lequel ils ne soient jamais revenus.

Je m’en tiendrais à cela pour ouvrir la discussion de ce livre impressionnant, qui ne craint pas d’ouvrir tous les problèmes laissés en friche, les dissensions ouvertes ou déguisées, les luttes de pouvoir et de préséance, livre qui ouvre des questions passionnantes tant analytiques, qu’éducatives et politiques, livre qui fait monstration que rien n’a été résolu de la façon espérée par ces éclaireurs sionistes et marxistes, malgré leur réflexion, leur volonté, leur courage et leur implication,

Ce qui est la meilleure leçon que nous puissions attendre d’eux et dont nous avons à les remercier

Comme nous devons grandement remercier Guido Liebermann de nous avoir donné accès à toute cette documentation, qui existait en ivrit, qu’il a pris le soin de traduire et de déplier pour nous, et à laquelle nous n’aurions pu sans lui, avoir accès.

Merci Guido. Grandement.

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Madame Cotard

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Par Dominique Delage et Gaspard Bizeau

Trait du cas présenté le 8 avril 2015, Autour d’un syndrome de Cotard. (Archive du Dr M. Czermak)

Dominique Delage :   Mme L. ou Mme Cotard suite. Juste quelques mots avant de passer la parole à Gaspard Bizeau. Les 2 premiers entretiens de l’archive qui nous a été confiée ont lieu le 25 mai 1982, soit 2 jours après l’entretien traité l’an passé que nous vous avions présenté Maïmouna Touré, Michel Ustaze et moi-même et que Maïmouna a exposé aux journées d’octobre. C’est l’ensemble de ce dialogue avec cette patiente qui est au cœur de l’article de M. Czermak sur La signification psychanalytique du syndrome de Cotard. (suite…)