Chemins vers la clinique

Séminaire coordonné par Raphaël Tyranowski

           La psychiatrie nous concerne. A partir de son regard, nous sommes captées dans les tableaux cliniques, nous y sommes lus, interprétés, classés, nous y sommes pensés. 

            Depuis plus de 200 ans, cette pensée se pense en silence, en secret. Dissimulée sous l’idéal de l’objectivité scientifique, elle dit rarement son nom. Pourtant elle parcourt nos vies et nos pratiques, jusqu’à s’inviter dans notre intimité en lui imposant la loi de ses notions. L’homme moderne se pense et est pensé par la pensée psychiatrique. Sa naissance à l’époque de la Révolution française reflétait une nouvelle façon d’appréhender l’homme, son individualité, son rapport à lui-même et aux autres. Son histoire nous dévoile comment, en cherchant à émanciper tous les pouvoirs de la Raison, la société et sa science constituent une succession de formes à travers lesquelles la folie se trouve délimitée, encerclée et rejetée. Sous ce rapport d’extériorité, la condition sine qua non de sa représentabilité, naquit la pathologie de l’âme. 


           Cependant, ni la richesse et la précision des tableaux cliniques dessinés par les anciens maîtres, ni la suite des grands paradigmes théoriques, n’ont pu empêcher le retour – vécu parfois sous la forme même de notre propre perplexité face à l’expérience clinique – de cette question essentielle, celle qui interroge le véritable objet de nos pratiques. Cet objet rejeté, cet objet qui fait retour, est-il Un ou bien multiple ? Pouvons-nous en revendiquer une Clinique unique ? Ou au contraire, peut-être est-ce sa structure même, celle donc de la psychopathologie, qui demande de nous équiper d’une collection de cartes cliniques hétérogènes et irréductibles, médicales, psychologiques, psychanalytiques, anthropologique, voire philosophiques, juridiques et même politiques, qui nous permettent d’orienter les différentes approches ? A l’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne, Marcel Czermak nous a légué la finesse d’une navigation qui articule et parcourt des plans hétérogènes dans l’approche d’un fait clinique se déclinant toujours au singulier. 


            Or, le caractère stérile de certaines classifications contemporaines, toutes guidées par la niaiserie d’un empirisme naïf qui confond l’expérience clinique avec la chimère d’une expérience objective brute, ne nous aide pas à reprendre cette question, au contraire, il la noie et empêche de la poser. C’est ainsi qu’en ce début de XXIème siècle nous sommes tentés de nous arrêter un instant pour regarder en arrière et interroger le sens et la structure de notre pratique à partir de son histoire, questionner notre position à partir de sa tradition. Ce retour aux sources de la clinique psychopathologique pourrait-il déboucher sur un retour à l’origine du phénomène clinique lui-même, une mise en évidence des édifices discursifs qui ont bâti ces faits ? Pourrions-nous en espérer un repérage de quelques lois fondamentales qui l’ordonnent ? C’est pour tenter d’y répondre que nous proposons ce nouveau séminaire de recherche : un lieu de réflexion où, en questionnant la notion de la clinique, en libérant sa pensée à elle à travers ses incarnations classiques, nous essayerons de nous dessaisir de l’hyper-pragmatisme contemporain qui nous happe en nous invitant à suspendre notre réflexion au profit d’une action aveugle.