Qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ? Introduction aux journées par Lucas Grimberg


Lucas Grimberg
08/03/2024




Qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ? Introduction aux journées – Séance du 14 juin 2023

Pour introduire notre prochaine journée d’étude, je vais tenter de dire où j’en suis, quant à cette question : qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ? Dire où j’en suis, cela suppose plusieurs choses. Déjà, que je vous constitue comme adresse. Ce qui n’est pas rien. Peut-être est-ce même fondamental. Car, sans adresse, pourrais-je le dire ? C’est une question. Vous dire, où j’en suis, donc. Vous dire où j’en suis, ça suppose aussi que je partage avec vous quelques questions, que je me pose avec insistance, qui partent de ma pratique, de mon analyse, et de nos cheminements de ces dernières années. Je vais donc tenter de formuler quelque chose, que j’ignore pour le moment, mais que je ne suis pas sans savoir non plus, puisque j’en ressens un certain nombre d’effets. Jusqu’où est-ce que je vais pouvoir le dire ? C’est une autre question, qui rejoint celle des limites de la parole. Nous savons avec Lacan que quand nous parlons, nous en disons toujours plus que ce que nous croyons dire. Quel type d’adresse serait donc propice à ouvrir cette possibilité d’un certain effet de retour, c’est-à-dire d’avoir, après-coup, une petite idée de ce que j’aurai articulé ? Autrement dit, quel type d’adresse permettrait qu’un message passe ? Pour paraphraser Lacan, je dirais qu’en préparant ce travail, je suis parti du principe que je parlerai à la cantonade. C’est-à-dire à un, ou des autres, indéterminés, et dont je n’attends rien. Si ce n’est, peut-être, après-coup, la possibilité d’avoir entendu quelque chose de mon propos, ceci étant davantage de l’ordre du pari que de l’attente. Qualifions donc cette adresse de déspécifiée, en écho à la déspécification pulsionnelle, signant le fait que le rapport du sujet à la demande a sauté. Probablement est-ce la seule voie pour en arriver à entendre ce que je dis, que de vous constituer comme adresse déspécifiée. Car si je m’adressais à vous en tant que je vous connais un petit peu, les choses seraient court-circuitées.

Cette adresse déspécifiée, est-elle déjà transférentielle ? C’est une question que je vais essayer de traiter. Nous savons que dans le champ des psychoses, la spécification de l’adresse par le transfert n’est pas sans risque. Il y a une pente au transfert irrésistible. Elle n’est pas non plus sans importance. Il est parfois essentiel qu’un patient puisse nous notifier. Où commencent donc le transfert et notre champ d’intervention possible ?

Je vais commencer en partant de l’interview de Jorge Cacho, qui est sur le site de l’École.

Nicolas Dissez : Les travaux de recherche de l’Ecole de Sainte-Anne portent plus spécifiquement sur la question des psychoses. Quelles conséquences penses-tu que cet abord particulier de la clinique peut avoir dans le souci de former des praticiens et des psychanalystes ? […] Cela forme à l’écoute ou à la possibilité d’entendre de façon très particulière dans tous les champs.

La question des psychoses, un abord de la clinique, ayant des effets de formation… de praticiens, et de psychanalystes. Qu’un praticien se forme à l’écoute à l’école de la psychose, c’est un point essentiel, spécifiquement pour ceux qui tentent de soutenir une pratique analytique. Là, j’aimerais centrer les choses sur la question de la formation du psychanalyste. Et donc m’éloigner un petit peu de cette mise en série “praticiens”…”psychanalystes”… Comme point de départ, je voudrais faire une triple distinction : être psychanalyste, d’une part. Pratiquer la psychanalyse, d’autre part. Et enfin, la question de la formation du psychanalyste. En quoi la clinique des psychoses a-t-elle des effets de formation du psychanalyste ?

Partons de la rencontre avec la psychose. L’expérience inaugurale de la rencontre avec la psychose, c’est l’angoisse. Mais, il s’agit d’une angoisse particulière, qui introduit la question suivante : qu’est-ce que je fous là ? Dans un tel moment, nous éprouvons une mise en rapport directe avec la question de notre désir, habituellement sous-jacente. Qu’est-ce que je fous là ? C’est-à-dire, mais qu’est-ce qui m’a conduit jusqu’ici ? En quoi y suis-je intéressé ? C’est une angoisse qui est corrélative de notre

entrée dans un certain champ : le champ de notre désir, cette antre qui nous attendait de toute éternité (Lacan). On peut se demander pourquoi ce champ, le psychotique nous y amène directement.

Jorge Cacho : Je ne suis pas le seul à dire que la clinique des psychoses nous confronte au point qui – pour un tas de raisons, liées à l’analysant mais aussi à l’analyste – n’a pas été abordé de notre propre analyse. La psychose c’est un forçage. Chacun de nous a ses propres limites analytiques, les limites de sa propre analyse.

Quelles sont les limites d’une psychanalyse ? Cela nous renvoie à la question de ce qu’est une analyse. Analyser, est-ce analyser par la parole ? Est-ce produire une catharsis des symptômes par le dire ? Ne s’agit-il pas plutôt du coincement d’un certain nombre de points de réel, qui viendraient se retrouver de plus en plus serrés par le certain nombre de tours que nous faisons au cours de l’analyse ? Les limites dont il s’agit, les limites analytiques propres à chacun, concernent donc ce qui, pour chaque sujet, peut se serrer de réel par la parole. Le psychotique, lui, nous permettrait de dépasser ces limites de la parole, non pas en nous amenant dans un au-delà ou un en-deça, mais au cœur de ce que la parole essaye de serrer. C’est-à-dire, au niveau de cet objet (a), cause du désir. C’est en cela que consiste le forçage de la psychose.

Dans l’expérience de la rencontre avec la psychose, la question du courage se trouve donc redoublée. Courage de ne pas reculer devant ce champ au niveau duquel le fil de notre désir nous a menés, et courage de soutenir le dialogue avec le patient. C’est un moment exemplaire où la question du désir du sujet se trouve mise en articulation avec un choix éthique : ce désir débouchera-t-il sur une pratique, ou pas ? Par le vécu de l’angoisse dans la rencontre avec la psychose, se fait donc entendre la question du désir de l’analyste, d’une façon pure, brute, et brutale. Cette question, du pourquoi l’analyste, évidemment s’aborde dans la cure. Mais, elle reste nécessairement ouverte, car remise en jeu avec chaque patient, à chaque séance, dans la mesure où elle est corrélative d’un acte, qui relève de l’éthique d’un certain “dire oui”, qui débouche dans la réalité de la praxis.

La clinique des psychoses nous confronterait donc, en premier lieu, à notre désir, c’est-à-dire à notre position subjective. Car, être psychanalyste, c’est une position subjective. C’est un mode de rapport à l’être parlant, qui quelque part est présent depuis toujours, qui implique l’hypothèse de la subjectivité de l’Autre, et de sa singularité. Lacan parle d’un désir de dégager ce qui fait le trait unique de chacun, c’est-à-dire ce qui relève de sa singularité absolue. Je pense aux remarques de Marcel Czermak concernant les jeunes : les jeunes n’ont aucune idée de ce dans quoi ils s’engagent. Effectivement. Ayant ce désir qui invite à un abord de l’autre dans sa singularité, avec l’accent le plus fort et profond que nous pouvons donner à ce terme, nous n’avons aucune idée des conséquences que cela peut avoir que de s’engager dans un rapport avec un autre de cette façon-là. Des enjeux qui en découleront.

Lacan disait qu’une psychanalyse, c’est ce qu’on attend d’un psychanalyste. Si la psychanalyse repose sur un engagement éthique de l’analyste, consistant en un certain ‘dire oui’ à l’engagement de tenir sa position d’analyste à l’égard d’un patient, peut-on dire oui à une psychanalyse des psychoses ?

Lacan disait dans le séminaire sur l’éthique que les limites éthiques de l’analyse coïncident avec les limites de sa praxis. Jorge Cacho se demande, dans l’interview, quelle est la différence entre le travail avec les psychotiques et le travail avec les névrosés. Y-a-t-il des limites éthiques spécifiques à une pratique analytique avec des patients psychotiques ? Ou bien la psychose nous introduit-elle à la radicalité de notre travail avec les névrosés ? Ce qui impliquerait que ces deux pratiques ne sont en réalité qu’une seule et même chose.

Revenons à la formule de Jorge Cacho : la clinique des psychoses nous confronte au point qui […] n’a pas été abordé de notre propre analyse. Mon hypothèse est donc que la rencontre avec la psychose fait résonner, de la façon la plus pure, la question du désir de l’analyste. Mais, plus radicalement encore, je dirais que le psychotique forme l’analyste comme lieu à partir du moment où il parle. C’est-à-dire que, de parler, il forme le psychanalyste comme adresse. Cette seconde hypothèse m’est venue en articulant deux phrases de Lacan : s’il n’y a pas de formation de l’analyste, mais que des formations de l’inconscient, et que l’inconscient est à ciel ouvert dans la psychose, ne peut-on pas se demander si, de parler, le psychotique ne formerait pas toujours l’analyste comme adresse ? Ce qui nous amène à la question suivante : que peut vouloir dire former le psychanalyste comme adresse ?

Ce point de réel, non abordé dans l’analyse, je dirais que le psychotique porte son propos en ce lieu. Lieu qui relève du plus intime de nous-mêmes, et qui ne peut que nous apparaître comme radicalement étranger, comme radicalement Autre. Il nous confronte à ce lieu du désir pur, au sein duquel il n’y a aucune demande. Et il nous apprend que ce lieu, nous le mobilisons toujours, dès que nous parlons. Qu’est-ce qu’une demande d’analyse pure, si ce n’est la demande d’un lieu déspécifié, duquel n’émerge aucune demande ? On en revient à la question de l’adresse déspécifiée.

Le psychotique nous confronte donc, radicalement, à notre être de psychanalyste. C’est-à-dire au désêtre de la position à partir de laquelle nous recevons la parole de l’autre. Ceci constituant une ouverture, propre à la position subjective d’un analyste, qui peut, éventuellement, déboucher sur une pratique. Mais, quelle pratique ? Nous n’avons pas une pratique de la psychanalyse classique des névrosés avec tous nos patients. De quoi s’agit-il donc avec les psychotiques ? Le terme de psychanalyse est-il encore valable dans ce champ ? Je note que notre question est “qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ?” Et non pas “qu’attendre de la psychanalyse dans le champ des psychoses”. Pourrait-on dire, et il faudrait le déplier, éventuellement au cours de ces journées, que la pratique avec les psychotiques est davantage une pratique du psychanalyste qu’une pratique de la psychanalyse ?

Je vais vous parler rapidement d’un patient pour déplier ces questions, que j’ai reçu il y a quelques années dans un service de psychiatrie. Je l’ai reçu pendant environ huit mois dans un état mélancolique grave. Chaque semaine, je me demandais avec angoisse si j’allais le revoir : la pente au suicide était extrêmement forte. Il parlait principalement de son actualité, sur un mode mélancolique d’auto-accusation, me disant régulièrement, je le cite, “je ne vois pas quelle raison j’aurais de ne pas me foutre en l’air”. Moi, j’essayais de le lester. De produire quelque chose qui le tiendrait un petit peu dans la vie. Par exemple, j’ai noté qu’après son hospitalisation, il s’était acheté un chien. Je lui demandais donc parfois “mais, si vous vous suicidez, qui va promener le chien ?”. Je dois dire que ça semblait avoir peu d’effet. Les séances étaient éprouvantes : après les quelques minutes d’entretien, il allait s’allonger pendant plusieurs jours. Puis, son psychiatre a changé son traitement, et l’a passé sous lithium, traitement qui a eu un effet assez intéressant : l’état global s’est amélioré, la période de crise s’est plus ou moins terminée. Un beau jour, dans un moment légèrement maniaque, il décide que la fois d’après il me parlera de son enfance et de sa famille. Il fit le tour de la question assez rapidement, n’ayant quasiment pas de famille, et aucun discours constitué sur son enfance. Il se mit alors à me poser des questions. “Et vous, vous vous entendez bien avec vos parents ? Et vous, vous avez des frères et soeurs ?”.

Quel statut donner à ses propos mélancoliques bruts, durs, qu’il tenait d’ailleurs à la totalité de son entourage ? Pour ma part, quelque chose a changé quand j’ai réalisé que ce qu’il me disait, il n’y avait rien à en dire. En essayant de le lester, je lui souhaitais tout le meilleur, c’est-à-dire qu’il ait un jour un peu moins envie de se suicider, qu’il ait quelques accroches avec la vie. Mais un mélancolique qui explique qu’il n’a aucune raison de ne pas se foutre en l’air, il a raison. Il témoigne de sa réalité. Et à partir de là, il n’y a rien à en dire. Ca ne veut pas dire qu’on en dira rien, en lui demandant qui promènera le chien je lui ai bien dit quelque chose, mais, radicalement, il n’y a rien à en dire. Car

c’est par l’intermédiaire de ces dits qui décrivent ce qu’il traverse dans la réalité qu’il tente de cerner un réel qui le met en grande difficulté. D’où l’importance cruciale qu’il puisse dire ce qu’il vit. Mais, à qui ? Ces propos, qui doivent être dits, mais dont il n’y a rien à dire, sont-ils sans adresse ? Je ne crois pas. Au contraire : ils s’adressent au cœur du réel du lieu où toute parole s’inscrit. Il me semble qu’on peut appeler ça le lieu de l’analyste, dans toute sa radicalité. Mélancolique, il s’adresse à ce trou dans l’Autre, qu’il complémente comme objet. Il y a donc une sorte de possibilité d’intrication, de recouvrement, entre ma position (trou dans l’Autre) et la sienne (objet a). Ce qui pose les questions de l’écart nécessaire à maintenir pour que l’on puisse parler, et d’une ek-sistence comme possible.

“Est-ce que vous vous entendez bien avec vos parents ?” me semble être un verbatim répondant à cette question. A défaut de pouvoir produire un écart quelconque avec son Autre maternel, l’enjeu de l’écart avec les parents se trouve renouvelé à l’endroit d’un autre.

Jorge Cacho : La clinique des psychoses nous pousse à aborder la question de la mort, et certaines questions relatives aux enjeux essentiels de l’existence.

Dans la pratique, comment cet abord se fait-il ? Passe-t-il par des mots ? Un témoignage de la réalité du vécu est-il de l’ordre d’une parole ? Probablement. En revanche, dans cette zone du réel où le psychotique nous amène, dans laquelle il n’y a qu’angoisse, il n’y a plus de paroles. Mais il y a de lalangue, ce qui ouvre à la possibilité de la construction d’un savoir : enjeu d’un traitement des psychoses. Ce qui nous ramène à la fonction de l’écrit. Qu’est-ce qui peut s’écrire, pour un psychotique ? Un savoir sur lalangue. Seule façon d’en arriver à une solution à la psychose. Une patiente paranoïaque m’écrit des poèmes. Elle dit : “ce que je dis dans ces poèmes, je pourrais pas le dire autrement”. L’écrit a donc valeur de savoir construit pour le psychotique, équivalent d’inconscient, ou de langage, au titre d’élucubration de savoir sur lalangue. Autrement dit, s’agit-il de faire ek-sister lalangue par l’écrit ? Nous noterons que ce qui peut s’écrire n’a pas nécessairement à passer par un écrit.

J’aimerais revenir sur la question de la spécification de l’adresse, c’est-à-dire de ce qui vient situer le transfert dans la chaîne signifiante. Implique-t-elle une modification de la structure de l’adresse d’origine ? Sûrement pas. En revanche, elle vient recouvrir la radicalité de l’adresse au psychanalyste. Ce qu’on appelle transfert relève donc d’une écriture de l’Autre, qui se produit au niveau du trou, le recouvrant. C’est cette écriture qui doit orienter notre pratique. Car autrement, nous sommes dans le transfert sauvage, qui, nous le savons, catapulte du côté de l’acting-out et du passage à l’acte. C’est une des limites de la psychanalyse, qui pointe précisément en quoi elle relève de l’impossible : nous ne pouvons pas opérer depuis le point le plus radical de notre position. Quelle est la différence entre notre travail avec les psychotiques et notre travail avec les névrosés ? Radicalement, il n’y en a aucune. Mais la question se repose au niveau supérieur, au niveau de ce qui s’écrit du rapport à l’Autre comme transfert. L’écriture passe-t-elle par les mêmes voies ? Il me semble que la réponse repose sur le rapport que l’analyste entretient avec l’inconscient.

Je cite un passage du verbatim de l’entretien de David Cohen avec Marcel Czermak, trait du cas travaillé au cours de ces dernières années.

  1. C. : Vous connaissez l’aphorisme talmudique “Si je m’occupe pas de moi, qui va le faire ? Mais si je ne m’occupe que de moi, quoi suis-je ?”

David : Je connais pas. […] C’est juste. Vous voulez dire que je m’occupe exclusivement de moi, et donc je ne suis plus rien ? C’est une, c’est une lecture.

  1. C. : C’est une lecture ouais. Elle vaut ce qu’elle vaut.

David : J’ai entendu votre lecture. Mais je m’occupe pas exclusivement, enfin je m’occupais des autres énormément avant avant avant ce clash.

  1. C. : Je me fais l’effet d’être un rabbin (rires), que je suis pas du tout.

David : Non mais, je vous assure docteur je, je ne, je n’ai pas triché d’un demi millimètre. M. C. : C’est bien ça qui m’embête.

David : Je vous assure.

  1. C. : Vous êtes incapables de la moindre triche, oui.

David : Je vous ai dit la vérité.

  1. C. : Ouais je sais.

David : Est-ce que je peux éventuellement vous demander un verre d’eau ?

  1. C. : Y’a… bien sûr.

Notons l’écriture du transfert qui s’articule dans un propos que l’on peut tenir pour l’équivalent d’une formation de l’inconscient : “je me fais l’effet d’être un rabbin, que je suis pas du tout”. Propos qui déclenche une nomination du côté du patient, qui l’appelle instantanément “Docteur”, ce pour la première fois de l’entretien. Avant ce passage, il ne lui avait dit ‘vous’ que six fois, le notifiant à peine. De quoi s’agit-il dans cette spécification de l’adresse, qui va du rabbin au docteur ? Peut-on parler d’un transfert de Marcel Czermak sur le patient, c’est-à-dire d’une résistance ? Ce propos déclenche de surcroît une demande, la seule de tout l’entretien : “est-ce que je peux vous demander un verre d’eau” ?

Jorge Cacho : L’inconscient est une écriture, mais c’est une écriture qui est parlée. Si ce n’est pas parlé, nous ne savons rien.

Une formation de l’inconscient, il faut donc la dire pour qu’elle puisse avoir des effets. Quelle fonction lui donner quand elle se produit du côté de l’analyste ? De quoi s’agit-il quand, par exemple, je fais un lapsus pendant une séance ? Ou quand Marcel Czermak articule “je me fais l’effet d’être un rabbin, que je suis pas du tout” ? S’agit-il de quelque chose qui concerne la petite personne de l’analyste, son “contre-transfert”, sa résistance, sa jouissance, une dimension dont il faudrait se débarrasser pour pouvoir mieux entendre ? Je dirais : pas du tout. La résistance, c’est ce qui serait intervenu si justement il n’y avait pas eu de lapsus, si une phrase telle que je me fais l’effet d’être un rabbin, n’était pas arrivée jusqu’à l’articulation. Dans des moments comme ceux-ci, nous parlons sans résistance. Nous pointons alors quelque chose avec une justesse que nous n’atteignons jamais autrement. Il s’agit de moments où le savoir de l’analyste s’écrit, temporellement exactement quand il le faut, produisant une opération clinique, dont les effets ne pourront s’apprécier qu’après-coup. Il est donc essentiel d’être particulièrement attentifs à ce type de formations de l’inconscient, car elles seules sont de véritables interprétations, le reste de nos dits ne relevant que de ce que Freud a qualifié de constructions. Constructions susceptibles, elles, de faire interprétation.

Qu’est-ce que ça change qu’un lapsus arrive du côté de l’analyste ou du côté du patient ? Rien. Car il n’y a pas le côté de l’analyste et le côté du patient. Il y a la topologie qui se met en place à partir du

moment où l’analysant constitue l’analyste comme lieu d’adresse de l’inconscient. A partir de là, on peut légitimement se demander s’il y a deux inconscients, ou s’il n’y en a qu’un. Un champ commun aux deux, duquel peut émerger un savoir singulier. La topologie en jeu varie-t-elle avec la structure du patient ? Il s’agirait de sérieusement remettre cette question sur la table.

David : Je suis lucide. Je pense que mon exposé est lucide même si les déclarations qui sont à l’intérieur semblent irrationnelles, voire complètement voire complètement euh hors-sujet pour tout un chacun et moi-même je le redis c’est c’est hors-sujet si si on m’avait raconté une telle histoire.

  1. C. : Ouais.

David : Mais je vous dis ce que je vis.

Qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ? La difficulté de cette question réside dans le risque de se laisser enfermer au niveau de l’attente d’une pratique pré-établie, qui collerait à la formulation d’un savoir qui fasse maîtrise. Notre seule chance d’y répondre est donc de laisser une place à l’inconscient dans notre réflexion : en tant que psychanalystes, nous en sommes les seuls garants. C’est-à-dire de partir de l’hypothèse que le dialogue avec le psychotique n’est pas toujours clos dans une dualité ( bien qu’il puisse l’être en cas de transfert irrésistible, ceci constituant une impasse de la pratique ). Il peut donc être trois. Concluons donc : au niveau d’une opération possible, la question concerne avant tout ce que nous faisons avec l’inconscient.