Je ne peux dire Marcel sans Czermak...



Je ne peux dire Marcel sans Czermak…car Marcel c’était le prénom de mon père, le vrai !
Ma première rencontre avec Marcel Czermak donc, ce fut sa voix ! Une cassette d’enregistrement de son intervention aux journées de Lille en novembre 1985, intitulées « États du symptôme ». Je n’y avais pas assisté, mais faisais partie d’un petit groupe de travail sur la clinique à partir des écrits de Lacan que je venais de découvrir grâce à l’enseignement d’Élie Doumit et de quelques autres, qui venait interroger ma pratique de jeune psychiatre avec la psychanalyse, dimension enthousiasmant tous les psychiatres à l’époque!
Je n’avais jamais fait de « transcription » de ma vie, mais j’étais partante, sans trop savoir ce qui m’attendait… Pourquoi ai-je choisi « Czermak » parmi la dizaine de noms sur les cassettes que nous devions nous répartir ? Je ne sais plus…Peut être le titre, qui devait me « parler » plus que les autres à propos de l’irréductibilité du symptôme ? C’était : « Symptôme,  acting-out et passage à l’acte »! Ainsi, c’est d’abord par l’oreille que la parole de Czermak m’est parvenue, par le biais de cette petite cassette à écouter, seule, et à transcrire. Ne comprenant pas un mot des citations en yiddish qui arrivaient dès le début de cette intervention…Oui, dès le départ, ça m’a donné « du fil à retordre ». Mais quel fil !  Fil de la transcription qui nous oblige à endosser notre implication dans la structure, sans tout comprendre.
Immédiatement, celui de la nécessité d’une écriture, pour décrypter ce rapport de la structure au Réel:
« l’ intuition ne suffit pas à l’expérience et à son élaboration. Il faut, à certains moments, en venir à une écriture, sans quoi toute l’expérience reste prise dans des captures imaginaires variées. »
Et puis, celle de l’acte dans sa dimension analytique : « Naassé Venishma »! L’aphorisme talmudique que je devais traduire « faisons et écoutons »: nécessité d’y aller d’abord, pour entendre ensuite « dans la rétroaction du Nishma, que le pas premier peut être entendu dans ce qu’il fonde ».
Tout était déjà là, dès les premières pages de cette voix à transcrire… La question du sujet qui « commence avec la coupure » de son acte, celle de la rétroaction qui permet d’entendre et d’en dire quelque chose.
Ensuite, des années après, ce fut lors de journées mémorables à Rome en 1999 (l’Autre et la psychose ?) où, là j’étais présente! j’ai pu saisir sans comprendre, à partir de des objections de Czermak à propos du fantasme, dans une dispute éclairante avec Moustapha Safouan, que ce que j’avais vécu, entendu, lu, auprès des patients psychotiques, venait se confirmer comme une évidence logique déflagrante! Une clinique différentielle des psychoses dans son rapport à l’objet lacanien: mélancolie, paranoïa, manie… les grands tableaux déployés, questionnés, repérés, dans un rapport topologique, en quelques phrases ramassées mais m’ouvrant d’un coup un chantier de plus de vingt ans de travail…
Contrairement à ce que certains pourraient penser, c’est Czermak qui m’a indiqué, à partir d’une orientation dans les structures psychiatriques classiques, la nécessité  de travailler cette écriture topologique du nouage des différentes coupures dans les trois dimensions des structures cliniques. Voilà pourquoi je peux dire que c’est la boussole de la topologie que Czermak m’a donnée pour m’orienter dans le transfert et l’acte analytique! Boussole bien sûr travaillée, questionnée, perfectionnée avec d’autres pour les derniers séminaires de Lacan après RSI, principalement pour moi aux « Mathinées lacaniennes ».
Enfin, après plus de quinze ans de contrôle et d’enseignement à l’école de sainte Anne, avec l’exigence des transcriptions et l’exposition de nos lectures partagées des  » traits du cas », je voudrais témoigner, s’il le faut, de la position éthique et du  refus tranchant de Marcel Czermak de m’embarquer dans les passions humaines dont la psychanalyse ne nous dispense guère… Ainsi, après l’échec des états généraux de la psychiatrie à Montpellier et sa déclaration « Destruction de la psychiatrie, disparition du citoyen » j’étais désespérée de son affirmation : « Y a pas de progrès ! »
Et lorsque, il y a peut-être un peu plus de deux ans je l’interrogeais avec insistance sur sa position à propos de certains événements où j’avais du mal à me positionner moi même, sa réponse a été catégorique :
« Allez, démerdez vous ! Vous savez, moi aussi un jour je vais casser ma pipe! »
Cela m’a permis de mettre un terme à ma demande de contrôle devenue un peu trop assidue et de m’autoriser autrement, non sans quelques autres dans un transfert de travail…
Merci, Monsieur Czermak, d’avoir contribué à ce que je puisse entendre aliénation/séparation, torsion nécessaire pour une fin de partie analytique dans le respect d’un maître et le désir d’une transmission, au delà…