Il faudrait son talent de photographe...



Il faudrait son talent de photographe, son acuité clinique pour pouvoir dire ce que Marcel Czermak a représenté dans mon parcours de praticienne. Pèle mêle les souvenirs reviennent pour retisser les éclats, les accrocs d’une rencontre inusitée avec un maître.

 

La première fois, j’étais jeune interne en psychiatrie et j’étais venue toute tremblante présenter un cas de mélancolie à Magnan. Je n’avais pour bagage que le Manuel de Thérèse Lempérière et les débuts balbutiants d’une analyse. Il avait alors commenté une seule phrase du verbatim de cette patiente qui en constituait, je ne le savais pas, le trait du cas. Je n’avais pas compris grand-chose à ce qu’il avait qualifié de « l’extranéïté du sujet », mais à partir de ce jour, mon regard clinique a été définitivement marqué, incurvé.

C’est qu’avec Marcel, il ne fallait pas s’encombrer de considérations superflues et imaginaires qui enroberaient le fait clinique lui-même… c’était alors nous-mêmes qui nous retrouvions à côté, en dehors du cadre structural… hors sujet en somme.

 

Avec lui, nous avons appris que l’angoisse est intrinsèquement notre compagne lorsqu’il s’agit de psychose, mais pas seulement. Témoignant de son expérience, il nous répétait de ne pas reculer devant elle, de s’en servir comme d’un levier de navigation et qu’à ce prix elle pourrait se dissiper : « vous avez le choix entre l’angoisse et la peur, je vous conseille l’angoisse » martelait-il à ses élèves. Accueillir toute manifestation transférentielle comme n’étant pas en dehors du tableau clinique… voilà un enseignement qui nous laisse dans l’intranquilité ; voilà l’exil irréductible dans lequel chaque être parlant se retrouve.

 

Ces dernières années à l’école de Sainte Anne, un signifiant a accompagné les élèves que nous étions. Je ne sais s’il l’appréciait dans son entièreté, Nebenmensch. Non pas l’Autre secourable, car Marcel nous mettait en permanence en garde que la clinique n’est pas une « affaire de sentiment » ; mais de la position de l’analyste comme celui ou celle qui chemine aux côtés du patient, côte à côte, épaule contre épaule. Sans cesse, il nous rappelait que le vif de cette position en est le tranchant acéré des questions de vie et de mort, objet nécessairement en partage avec les patients.

 

Il y a 3 ans au moment des remous qui ont agité l’ALI lors d’États généraux pas vraiment généreux, le tsunami institutionnel avait eu raison de ma santé. Je dois à Marcel Czermak les quelques phrases percutantes qui m’ont redonné le souffle que j’avais failli perdre.

 

Marcel n’est plus, mais le sextant qu’il a forgé tout au long de sa vie de psychiatre et psychanalyste, il nous l’a laissé en héritage. À nous de poursuivre son utilisation, et pourquoi pas, d’en découvrir des aspects inusités.

 

 

Merci Monsieur Czermak, adieu Marcel.