Enseignements 2019/2020 : une présentation


Elsa Caruelle-Quilin
29/07/2019




Depuis « la psychiatrie lacanienne » (titre des journées de l’EPSA 2016), en passant par « l’opération clinique et la direction de la cure dans le champ des psychoses » (EPSA 2018), la proposition en devenir pour nos prochaines journées devrait être quelque chose comme « qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ?»

Cette question, nous la recevons de Lacan sous forme inversée :

« Qu’est-ce que la psychanalyse ? C’est ce qu’on attend d’un psychanalyste». ( Variantes de la cure-type, 1953)

Mais alors, qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ? La réponse semble déjà là, dans une torsion de la phrase : une psychanalyse.

Et pourtant, malgré nos efforts ces trois dernières années, nous hésitons. Si nous avons pu soutenir « une psychiatrie lacanienne » ou « une opération clinique dans le champ des psychoses », quel est ce franchissement devant lequel nous bégayons : s’autoriser à dire « psychanalyse des psychoses » ?

Certains même récusent ouvertement cette idée: Christophe Chaperot, par exemple, qui a écrit plusieurs ouvrages sur ce thème, et que nous pourrions peut-être inviter cette année pour la disputatio. Bien souvent, nous-même nous contentons de dire pudiquement « psychothérapie des psychoses » ; pudiquement et, il m’est arrivé de le dire, peut-être aussi, lâchement.

Freud lui-même, en son temps, faisait l’hypothèse, dans ce qu’il appelait alors les névroses narcissiques, d’une régression au narcissisme originaire :

« ils détournent leur intérêt du monde extérieur (personnes et choses). Par suite de cette dernière transformation, ils se soustraient à l’influence de la psychanalyse et deviennent inaccessibles à nos efforts pour les guérir. » (Pour introduire le narcissisme, 1914)

Notons au passage l’idéal médical de guérison et la temporalité de l’après-coup, la temporalité de l’inscription que cela suppose : il aura été guéri.

« L’observation montre que les malades atteints de névrose narcissique ne possèdent pas la faculté du transfert ou n’en présentent que des restes insignifiants…aussi le mécanisme de la guérison, si efficace chez les autres et qui consiste à ranimer le conflit pathogène et à surmonter la résistance opposée par le refoulement, ne se laisse-t-il pas établir chez eux. Ils restent ce qu’ils sont » (Freud, Introduction à la psychanalyse,1917)

Comme toujours, Freud nous ouvrira pourtant le champ :

« les psychoses, les états confusionnels, les mélancolies profondes, je dirais presque toxiques, ne ressortissent pas à la psychanalyse, du moins telle qu’on la pratique jusqu’ici. Il ne serait pas du tout impossible que ces contre-indications cessassent d’exister si l’on modifiait la méthode de façon adéquate et qu’ainsi puisse être constituée une psychothérapie des psychoses ». (La technique psychanalytique, 1912)

Qu’est-ce que la psychanalyse ? Est-ce l’analyse des conflits refoulés, l’analyse des résistances ou encore celle du transfert ? La psychanalyse, répond Lacan, c’est ce qu’on attend d’un psychanalyste. Lacan ne dit pas mot du patient, psychotique, névrosé ou pervers, de ce « on » déspécifié qui attend d’un psychanalyste. C’est bien du côté du psychanalyste qu’il situe toute la responsabilité de l’analyse.

Comme certains le savent déjà, Monsieur Lesavant a été reçu une troisième fois par Marcel Czermak. Nous en saurons sans doute d’avantage plus tard mais disons, pour faire vite, qu’a priori cela va plutôt mal. L’opération des deux premiers entretiens ne s’est pas inscrite dans le temps. Monsieur Lesavant n’est donc pas entré dans une temporalité de l’après-coup, c’est-à-dire qu’il n’est pas devenu névrosé.

Comme vous le savez, Marcel Czermak nous a appris à ne pas traiter un psychotique comme s’il était névrosé. Lacan a pu dire dans l’éthique que nous ne serions coupable que d’une chose : de céder sur notre désir, en l’occurrence sur notre désir d’analyste. Ne pas dire « psychanalyse des psychoses », est ce céder sur notre désir, fût-ce-t-il engagé dans une analyse de Sisyphe ? Ceci n’est pas sans évoquer le beau titre de Serge Leclaire, Psychanalyser (1968), à l’infini donc de l’infinitif, ce temps auquel tenait Monsieur Lesavant dans le premier entretien avec Marcel Czermak.

Il semble, comme nous l’ont appris nos dernières journées, que la psychose interroge le rapport de l’analyste à son désir, c’est-à-dire son rapport à la mort, à son éthique.

C’est pourquoi le séminaire mis à l’étude cette année ne suivra pas la sacrosainte temporalité chronologique. Nous remettrons sur le métier l’éthique de la psychanalyse, le séminaire 7 de Lacan (1959/1960). Cette question éthique exige de nous un effort supplémentaire. C’est Edouard Bertaud qui coordonnera la lecture du séminaire. Ce que nous voudrions vous proposer cette année, c’est que chacun le lise en entier cet été, disons sur la plage, et propose à la rentrée sa lecture, sa coupure, sa question, pourquoi pas sa leçon mais pas forcément.

La première partie des mercredis après-midi de l’Ecole de Sainte-Anne s’attèlera donc à l’éthique de la psychanalyse, en alternance avec les « traits du cas », adultes (sous la responsabilité de Nicolas Dissez) et enfants (sous la responsabilité d’Eva-Marie Golder), avec en perspective cette question : qu’attendre d’un psychanalyste dans le champ des psychoses ?

En deuxième partie d’après-midi, alterneront la lecture du « groupe des schizophrénies » de Bleuler (sous la responsabilité de Dominique De Quay), la lecture de textes de Freud, à commencer par « Malaise dans la culture » (sous la responsabilité de Sabine Chollet) et « L’oeil qui écoute » (sous la responsabilité de Luc Sibony et Cyrille Deloro).

D’autres séminaires se tiendront en périphérie du mercredi, comme la lecture du Séminaire 5 de Lacan, Les formations de l’inconscient (sous la responsabilité de Sylvia Salama) ou encore, au CMPP de la MGEN, « Pour l’enfant aussi, l’inconscient c’est le social » (coordonné par ilaria Pirone et moi-même) et « Du réel des lieux et des terrains » (sous la responsabilité d’Ilaria Pirone, de Jean-Jacques Tyszler, et de Daphnée Cohen)

Nous ouvrirons également un groupe de recherche (coordonné par Emilie Abed et moi-même) qui posera l’hypothèse que c’est de pouvoir dire « psychanalyse des psychoses » que nous pourrions nous autoriser à dire « psychanalyse » tout court.